Paris, un jeudi, pédestrement (deux)

29 décembre 2019


Boulevard Saint-Michel, je trouve à l’étalage de Gibert Joseph pour un euro, publié par Le Tout sur le Tout, Armen de Jean-Pierre Abraham que je cherchais depuis un moment. Monté à l’étage Littérature, je prends, au prix d’occasion de quatorze euros soixante au lieu de vingt-deux cinquante, paru au Mercure de France, le Journal particulier (1935) de Paul Léautaud, qui me manquait (me suis-je aperçu dernièrement), et, pour faire bonne mesure, m’offre le premier tome du Journal de Julien Green récemment paru chez Bouquins, un exemplaire d’occasion à vingt-quatre euros au lieu de trente-deux.
-Votre code postal ? me demande le caissier à qui je règle ces achats.
Je pourrais me croire à l’Office de Tourisme.
Au bas du même boulevard, j’entre chez Gibert Jeune et en explore le rayon Correspondances et Journaux intimes. Quelques tomes de celui de Gabriel Matzneff y sont, qui vont peut-être avoir du mal à trouver preneur désormais, à moins qu’au contraire. Au même étage, je mets la main sur l’énorme Quarto consacré aux Œuvres de Georges Perros, une occasion à vingt euros quatre-vingts au lieu de trente-deux. Il est des livres que vu mon âge avancé je ne peux attendre de trouver à vil prix.
Je sais comment faire pour revenir à Saint-Lazare pédestrement. Me frayant un chemin parmi la foule des touristes internationaux, je longe les boîtes inintéressantes des bouquinistes, traverse la Seine par le pont des Arts, entre dans la cour du Louvre, contourne la Pyramide et arrive dans le jardin des Tuileries où Marcel Campion, Roi des Forains, a installé, à l’invitation du Musée, la Grande Roue qu’Anne Hidalgo, Maire, Socialiste, pensait avoir réussi à bouter hors de la ville.
Elle n’est pas seule. Une véritable fête foraine s’étend jusqu’au Jeu de Paume. Cette installation à la gloire de la vulgarité est fréquentée par son lot de familles.
Arrivé à la Madeleine, je traverse avec le même ennui la vulgarité des riches qui vaut celle des pauvres. Encore un effort et c’est Saint-Lazare.
J’attends qu’il soit l’heure de mon train à La Ville d’Argentan où le prix du café est passé de deux euros vingt à deux euros quarante. Au bout d’un moment la circulation automobile est suspendue rue d’Amsterdam. Des Céhéresses prennent position devant la gare. Une manifestation de grévistes en est la cause. Je commence à m’inquiéter pour mon retour.
Heureusement, l’accès à la gare n’est pas entravé. Le Corail de dix-sept heures quarante est plus que complet. Les derniers arrivés voyagent debout sur les plateformes. Parti à l’heure, de ralentissements en arrêts inopinés, il se transforme en train de l’angoisse. Ira-t-il jusqu’à Rouen ?
Il y arrive avec vingt minutes de retard alors que tombe une sacrée drache qui me vaut d’être lessivé avant d’être à la maison. Mes livres sont heureusement protégés par plusieurs sacs en plastique puisés dans le stock que j’ai constitué avant leur interdiction.
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Chaque autobus parisien est plein comme un œuf. Peu des entassés paient. La plupart sont jeunes et ne prenaient jamais le bus. Depuis le début de la grève en sont exclus les habitués : ancêtres avec ou sans canne, handicapés en fauteuil, jeunes parents à poussette. Ces derniers peuvent marcher. Les autres restent bloqués dans leur quartier.