Les livres lus s’empilent sur mon bureau principal, celui d’en bas où je ne suis presque jamais, que j’ai pourtant déplacé récemment dans l’espoir que j’aurais davantage envie de m’y installer, livres dont je veux noter tel et tel passage relevé en cours de lecture sur mon carnet Muji. Il me faudrait une dactylographe bénévole (pourquoi une plutôt qu’un ?).
Je m’y mets quand même ce dimanche matin, pour noter un long extrait de ce que dit Felix Hartlaub dans son journal de guerre publié chez Solin/Actes Sud sous le titre Paris 1941, pages soixante-dix et onze, de Rouen bombardée qu’il observe d’en haut (peut-être depuis la côte Sainte-Catherine).
La ville, gris-violet, peu de rouge brique. Les églises aux couleurs de toiles d’araignées. Le cuivre vert du toit du chœur de la cathédrale. Saint-Ouen sonne de toutes ses cloches, le son semble provenir de la nef de l’église, ne monte pas. Les tours se tiennent là muettes, éteintes dans leur manteau de dentelles de pierre. La Fête-Dieu a été reportée à ce dimanche. La sonnerie des cloches s’arrête sans un écho, s’abat sur les toits les plus proches. Le gros bourdon de la cathédrale continue seul en de lentes volées, mais avec un son étouffé lui aussi, souterrain, et on ne sait de laquelle des deux tours. Le quartier anéanti entre la cathédrale et le fleuve ; vu de là-haut, il se resserre en un empan de coloris roussis. Les murs extérieurs des halles sont encore debout, sur un étage, répètent sur une longue étendue toujours le même carré de fenêtres vides. Des murs de vieilles maisons à colombages, des rayures couleur noisette serrées les unes contre les autres. Les quais, qui s’étendent jusque dans la zone de décombres, à nouveau jonchés de sable jaune après l’inondation, n’ont pas encore de profil cohérent. De noires figurines du dimanche se déplacent lentement en amont et en aval du fleuve.
Le pont, traversé par de nouvelles poutrelles rouge minium, tient à peine. Plus loin, en amont du fleuve, une étroite passerelle de secours pour les piétons, tordue elle aussi. Les entrepôts peu élevés qui se trouvent sur l’île paraissent avoir été enfoncés par le simple souffle ou par l’onde de choc des explosions, ils se sont affaissés sur eux-mêmes. Des toits qui pendent jusqu'au sol, recouverts de toutes leurs tuiles, tombés dans les bosquets de sureaux des jardins du rivage.
Felix Hartlaub, soldat allemand d’occupation, non nazi et francophile, affecté auprès d’une commission d’archives au Quai d’Orsay, écrivait bien. Son Paris 1941 est essentiellement descriptif des lieux où il se trouve. Les humains y sont peu évoqués. Et dans ce cas, il s’intéresse surtout à ses semblables, montrés à la façon cruelle des dessins de George Grosz.
Il aurait pu devenir un écrivain important si, en avril mil neuf cent quarante-cinq, envoyé dans l’infanterie, il n’avait été tué alors qu’il se rendait dans une caserne de Berlin-Spandau. Son corps n’a pas été retrouvé ou n’a pas été identifié.
Je m’y mets quand même ce dimanche matin, pour noter un long extrait de ce que dit Felix Hartlaub dans son journal de guerre publié chez Solin/Actes Sud sous le titre Paris 1941, pages soixante-dix et onze, de Rouen bombardée qu’il observe d’en haut (peut-être depuis la côte Sainte-Catherine).
La ville, gris-violet, peu de rouge brique. Les églises aux couleurs de toiles d’araignées. Le cuivre vert du toit du chœur de la cathédrale. Saint-Ouen sonne de toutes ses cloches, le son semble provenir de la nef de l’église, ne monte pas. Les tours se tiennent là muettes, éteintes dans leur manteau de dentelles de pierre. La Fête-Dieu a été reportée à ce dimanche. La sonnerie des cloches s’arrête sans un écho, s’abat sur les toits les plus proches. Le gros bourdon de la cathédrale continue seul en de lentes volées, mais avec un son étouffé lui aussi, souterrain, et on ne sait de laquelle des deux tours. Le quartier anéanti entre la cathédrale et le fleuve ; vu de là-haut, il se resserre en un empan de coloris roussis. Les murs extérieurs des halles sont encore debout, sur un étage, répètent sur une longue étendue toujours le même carré de fenêtres vides. Des murs de vieilles maisons à colombages, des rayures couleur noisette serrées les unes contre les autres. Les quais, qui s’étendent jusque dans la zone de décombres, à nouveau jonchés de sable jaune après l’inondation, n’ont pas encore de profil cohérent. De noires figurines du dimanche se déplacent lentement en amont et en aval du fleuve.
Le pont, traversé par de nouvelles poutrelles rouge minium, tient à peine. Plus loin, en amont du fleuve, une étroite passerelle de secours pour les piétons, tordue elle aussi. Les entrepôts peu élevés qui se trouvent sur l’île paraissent avoir été enfoncés par le simple souffle ou par l’onde de choc des explosions, ils se sont affaissés sur eux-mêmes. Des toits qui pendent jusqu'au sol, recouverts de toutes leurs tuiles, tombés dans les bosquets de sureaux des jardins du rivage.
Felix Hartlaub, soldat allemand d’occupation, non nazi et francophile, affecté auprès d’une commission d’archives au Quai d’Orsay, écrivait bien. Son Paris 1941 est essentiellement descriptif des lieux où il se trouve. Les humains y sont peu évoqués. Et dans ce cas, il s’intéresse surtout à ses semblables, montrés à la façon cruelle des dessins de George Grosz.
Il aurait pu devenir un écrivain important si, en avril mil neuf cent quarante-cinq, envoyé dans l’infanterie, il n’avait été tué alors qu’il se rendait dans une caserne de Berlin-Spandau. Son corps n’a pas été retrouvé ou n’a pas été identifié.