Le jour des soixante-douze ans

17 février 2023


On ne pourra pas dire que l’on ne m’a pas vu dans une manifestation contre le recul de l’âge de la retraite de soixante-deux à soixante-quatre ans, car ce seize février un déplacement m’oblige à traverser la rue de la République au moment où passe la queue de celle du jour, ce que je ne peux faire qu’en diagonale, c’est à dire en marchant un peu avec les manifestants.
Cette journée qui marque l’avancement fâcheux vers ma fin ressemble à l’un de mes jeudis ordinaires, un déjeuner dans mon restaurant japonais préféré, un café lecture au Socrate.
Ce n’est que le soir qu’arrive l’imprévu. Mon nouveau voisin s’installe, que je n’attendais pas à cette heure. Il n’est pas seul. Des peutes à lui l’accompagnent. Leur conversation est typique de l’époque, une suite de plaisanteries déclenchant des rires mécaniques. Cette arrivée met un terme à la tranquillité des derniers mois.
Le bruit s’amplifie quand il ouvre la fenêtre qui jouxte celle de ma chambre principale. Après avoir fait preuve de patience, j’ouvre la mienne et découvre en train de fumer un jeune homme aux cheveux ras.
-Ah peut-être qu’on fait trop de bruit ? me dit-il.
Je lui explique qu’il n’y a aucune isolation phonique entre les appartements et que je peux entendre tout ce qui vient de chez lui, jusqu’à ses conversations. Il me dit que le voisin de l’autre côté est également venu l’informer du bruit qu’il fait.
-Je veux que tout se passe bien, me dit-il en me promettant de faire attention.
Il ajoute que là il boit quelques bières avec ceux qui l’ont aidé à emménager (sans doute mercredi quand je n’étais pas là), mais qu’il ne va pas rester dormir.
Le dialogue terminé, je choisis d’aller dormir dans la petite chambre, moins soumise au bruit d’autrui. Ce qui ne veut pas dire que je n’entends rien. Les peutes partis, c’est sa copine qui le rejoint et, contrairement à ce qu’il m’a dit, ils passent ici la nuit.
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Les problèmes de voisinage version Paul Léautaud, Journal littéraire, lundi dix-neuf septembre mil neuf cent trente-deux :
La vermine de nouveaux locataires qui occupent depuis juillet le petit pavillon sur la rue, contigu à mon jardin, et qui étaient absents depuis le 1er août, viennent de rentrer ce soir, à 10 heures, avec leur saloperie d’enfants, qui se sont mis à brailler sitôt descendus de voiture. Je vais recommencer à être empoisonné. L’homme, un chauffeur de taxi. On voit le monde que ça peut être. Par-dessus le marché, possesseur d’un phonographe ou d’un appareil de télégraphie sans fil qui fait un vacarme formidable. Il m’a fallu, un dimanche soir, jusqu’à onze heures, avant leur départ en vacances, subir les trois actes de cette ânerie : Les surprises du divorce, braillés en plein jardin. Où est ma tranquillité de ces dernières années ! Je n’ai d’espoir qu’en une bonne maladie qui me débarrasse des deux gosses, ou de mauvaises affaires qui ne permettent plus à cet individu de payer son loyer, ce qui le fera mettre dehors par notre commune propriétaire.