N’ayant pas cette année été chercher le programme du Conservatoire de Rouen, j’aurais presque pu manquer la présentation des travaux de mi-année de la classe d’art dramatique que dirige Maurice Attias, si celui-ci ne m’en avait averti.
-On vous a réservé une place numérotée, me dit-il ce lundi lorsque j’arrive trop tôt comme d’habitude au Théâtre de la Chapelle Saint Louis.
Je le remercie mais préfère ma place habituelle, au milieu du quatrième rang. Avant de pouvoir y poser les fesses, je rentre au chaud et me poste près de l’entrée de la salle. Je suis bientôt obligé de m’employer comme portier, le nombre de personnes s’imaginant qu’une porte qu’elles ont ouverte doit se refermer automatiquement derrière elles étant important.
-Cela va durer combien de temps ? demande un septuagénaire.
-Deux heures pour la première pièce, puis un entracte et encore à peu près une heure pour la deuxième. C’est pour ça que ça commence à dix-neuf heures.
Il s’effraie de devoir rentrer si tard (vingt-deux heures trente).
Je suis évidemment le premier à pénétrer dans la salle et m’installe là où j’aime. À ma droite est bientôt une jolie fille et à ma gauche la mère d’un comédien ou d’une comédienne. Elle ne veut pas être plus près, craignant un croisement de regard. C’est vite plein, et même davantage pour cause de réservation cafouilleuse.
-On a dû renvoyer quelques personnes en leur promettant une place demain, annonce Maurice Attias. On verra.
Il présente rapidement les deux pièces : Innocence de Dea Loher et Martyr de Marius von Mayenburg, deux auteurs allemands contemporains (inconnus de moi) qui évoquent des sujets d’actualité puis indique que ce soir les élèves seront soumis à la notation d’un jury composé de gens du métier. « Le théâtre, c’est bien », conclut il. On va voir.
Pour Innocence, le plateau incliné est bord de mer, toit de la tour des suicidés, intérieur familial ou tout autre lieu. S’y succèdent le temps de courts tableaux des immigrés qui laissent une femme se noyer, un jeune couple chez qui la mère de la femme, diabétique amputée, vient s’installer tout en rêvant du jour où elle allumera une cigarette près d’une cuve d’essence (le mari ayant trouvé un travail comme croque-mort se prendra de passion pour cette activité au point d’en négliger sa femme), deux jeunes hommes qui sautent du toit en se donnant la main, une autre femme prête à tout pour exister jusqu’à se faire passer pour la mère de l’assassin de la fille d’un couple qu’elle vient harceler, une jeune aveugle qui danse quasi nue pour les hommes dans un bar du port (l’un des deux immigrés du début ayant trouvé Dieu dans un sac en plastique sous forme d’un gros tas de billets le dépensera inutilement dans l’espoir de lui redonner la vue), je n’en dis pas plus, si ce n’est qu’un livre titré La non fiabilité du monde est évoqué à plusieurs reprises. Cette plongée dans un univers déglingué ressemblant au nôtre est à mon goût et les deux heures sont vite passées.
Le dispositif est le même pour Martyr mais cette fois les apprentis comédiens attendent leur tour sur les côtés, faisant à la fois les spectateurs de leurs camarades et les élèves d’un gymnasium où l’un, Benjamin, par une trop forte lecture de la Bible devient intégriste. Il refuse de se déshabiller à la piscine à cause des filles en bikini, se met nu pour protester contre un cours sur le préservatif, se transforme en singe quand il est question de la théorie de l’évolution, en arrive à songer à exterminer qui ne pense pas comme lui. La Bible possédant autant de ressources que le Coran pour transformer un esprit fragile en terroriste, elle permet à Marius von Mayenburg d’évoquer le danger du moment sans attaquer directement la religion concernée. Je n’ai pas trop le goût du théâtre à message mais ici je trouve quand même mon compte car sont bien montrés la mère dépassée, les profs qui font face mais dont l’action est sabotée par un chef d’établissement prêt à tous les compromis, le prêtre en visite tout aussi lâche.
Cette année, il y a davantage de garçons que de filles chez les seize apprentis comédiens et on en trouve plusieurs qui sont issus de la diversité (comme il convient de dire). Je les trouve tous bons ou très bons. ils n’ont pas fait d’erreur en s’engageant dans cette voie. Après une chorégraphie finale due à leur professeure Aline Mottier, ils font le plein d’applaudissements et de bravos. J’espère qu’ils auront eu une bonne note.
*
Chopé dans le texte de Martyr, cette sentence non dénuée de fondement : La puberté est une maladie mentale temporaire.
*
Entre les tableaux d’Innocence : Float chanté par Sandy Dillon (autre découverte).
*
Dans la liste des remerciements : les Pompes funèbres Eco Plus (pour un prêt d’urnes funéraires).
-On vous a réservé une place numérotée, me dit-il ce lundi lorsque j’arrive trop tôt comme d’habitude au Théâtre de la Chapelle Saint Louis.
Je le remercie mais préfère ma place habituelle, au milieu du quatrième rang. Avant de pouvoir y poser les fesses, je rentre au chaud et me poste près de l’entrée de la salle. Je suis bientôt obligé de m’employer comme portier, le nombre de personnes s’imaginant qu’une porte qu’elles ont ouverte doit se refermer automatiquement derrière elles étant important.
-Cela va durer combien de temps ? demande un septuagénaire.
-Deux heures pour la première pièce, puis un entracte et encore à peu près une heure pour la deuxième. C’est pour ça que ça commence à dix-neuf heures.
Il s’effraie de devoir rentrer si tard (vingt-deux heures trente).
Je suis évidemment le premier à pénétrer dans la salle et m’installe là où j’aime. À ma droite est bientôt une jolie fille et à ma gauche la mère d’un comédien ou d’une comédienne. Elle ne veut pas être plus près, craignant un croisement de regard. C’est vite plein, et même davantage pour cause de réservation cafouilleuse.
-On a dû renvoyer quelques personnes en leur promettant une place demain, annonce Maurice Attias. On verra.
Il présente rapidement les deux pièces : Innocence de Dea Loher et Martyr de Marius von Mayenburg, deux auteurs allemands contemporains (inconnus de moi) qui évoquent des sujets d’actualité puis indique que ce soir les élèves seront soumis à la notation d’un jury composé de gens du métier. « Le théâtre, c’est bien », conclut il. On va voir.
Pour Innocence, le plateau incliné est bord de mer, toit de la tour des suicidés, intérieur familial ou tout autre lieu. S’y succèdent le temps de courts tableaux des immigrés qui laissent une femme se noyer, un jeune couple chez qui la mère de la femme, diabétique amputée, vient s’installer tout en rêvant du jour où elle allumera une cigarette près d’une cuve d’essence (le mari ayant trouvé un travail comme croque-mort se prendra de passion pour cette activité au point d’en négliger sa femme), deux jeunes hommes qui sautent du toit en se donnant la main, une autre femme prête à tout pour exister jusqu’à se faire passer pour la mère de l’assassin de la fille d’un couple qu’elle vient harceler, une jeune aveugle qui danse quasi nue pour les hommes dans un bar du port (l’un des deux immigrés du début ayant trouvé Dieu dans un sac en plastique sous forme d’un gros tas de billets le dépensera inutilement dans l’espoir de lui redonner la vue), je n’en dis pas plus, si ce n’est qu’un livre titré La non fiabilité du monde est évoqué à plusieurs reprises. Cette plongée dans un univers déglingué ressemblant au nôtre est à mon goût et les deux heures sont vite passées.
Le dispositif est le même pour Martyr mais cette fois les apprentis comédiens attendent leur tour sur les côtés, faisant à la fois les spectateurs de leurs camarades et les élèves d’un gymnasium où l’un, Benjamin, par une trop forte lecture de la Bible devient intégriste. Il refuse de se déshabiller à la piscine à cause des filles en bikini, se met nu pour protester contre un cours sur le préservatif, se transforme en singe quand il est question de la théorie de l’évolution, en arrive à songer à exterminer qui ne pense pas comme lui. La Bible possédant autant de ressources que le Coran pour transformer un esprit fragile en terroriste, elle permet à Marius von Mayenburg d’évoquer le danger du moment sans attaquer directement la religion concernée. Je n’ai pas trop le goût du théâtre à message mais ici je trouve quand même mon compte car sont bien montrés la mère dépassée, les profs qui font face mais dont l’action est sabotée par un chef d’établissement prêt à tous les compromis, le prêtre en visite tout aussi lâche.
Cette année, il y a davantage de garçons que de filles chez les seize apprentis comédiens et on en trouve plusieurs qui sont issus de la diversité (comme il convient de dire). Je les trouve tous bons ou très bons. ils n’ont pas fait d’erreur en s’engageant dans cette voie. Après une chorégraphie finale due à leur professeure Aline Mottier, ils font le plein d’applaudissements et de bravos. J’espère qu’ils auront eu une bonne note.
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Chopé dans le texte de Martyr, cette sentence non dénuée de fondement : La puberté est une maladie mentale temporaire.
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Entre les tableaux d’Innocence : Float chanté par Sandy Dillon (autre découverte).
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Dans la liste des remerciements : les Pompes funèbres Eco Plus (pour un prêt d’urnes funéraires).