J’ai visité le Musée d’art moderne Richard Anacréon, le MamRA, seul, il y a fort longtemps. Lorsque je suis revenu à Granville bien accompagné, je n’ai pas pu renouveler, l’ayant trouvé fermé à chaque fois. Là, ce n’est pas le cas. Je m’y présente ce mercredi à l’ouverture, après avoir grimpé l’escalier de la Haute Ville. Il est onze heures.
Une aimable jeune femme m’accueille à qui je paie cinq euros cinquante, plein tarif. Elle me signale les trois expositions, la permanente consacrée à Richard Anacréon, et les deux temporaires, l’une consacrée à la Grande Guerre et l’autre à la vie granvillaise. Je commence par la partie Anacréon, essentiellement des tableaux, et pas seulement ceux qu’il possédait, très peu de livres.
Ce n’était pas ainsi dans mon souvenir mais il est lointain. Quand même, je crois qu’Anacréon ne reconnaîtrait pas son univers, ni son projet. Ses livres doivent être dans les réserves. Je note le portrait d’Anacréon par Edmond Heuzé, un sage portrait de femme par Pascin et La maison de l’artiste à la Naze de Vlaminck. Dans l’expo Grande Guerre, on trouve quelques livres et correspondances, dont une lettre de Georges Duhamel à Paul Léautaud, qui dans son Journal littéraire se moque de ce va-t-en-guerre. Dans la partie Granville, quelques toiles montrent la Haute Ville autrefois et une salle niaise est consacrée au sport.
Toast de guacamole, cuisse de canard rôtie, crème de parmesan, pommes de terre et carottes et quatre quart citron fraise, c’est le menu du Grand Café où je déjeune à midi. A ma droite, quatre collègues et six smartphones sur leur table. A ma gauche, une plus vieille que moi et un livre qu’elle lit entre deux assiettes, chose que je suis incapable de faire.
*
Né dans la Haute Ville, Richard Anacréon quitta Granville à dix-sept ans pour tenter sa chance à Paris. Quelques années plus tard, il entra par hasard dans l’administration du Petit Parisien qu’il quitta pendant l’Occupation Il ouvrit alors une librairie qu’il nomma L’Originale, rue de Seine, et se spécialisa dans la vente d’ouvrages en édition originale. Sa boutique était fréquentée par Valéry, Colette, Jouhandeau, Fargue, Utrillo, Derain, Claudel, Carco, Léautaud, Cendrars, Reverdy, Mac Orlan, Genet, etc.
Dans les années Quatre-Vingt, Anacréon a fait don à sa ville natale de sa collection d’œuvres d’art (Derain, Van Dongen, Vlaminck, Utrillo, Laurencin, Signac, Friesz, Cross, Luce) et de ses livres en éditions rares, notamment ceux contenant des truffes. Car le malin libraire passa des dizaines d’années à obtenir, pour les glisser entre les pages, dessins, courriers, extraits de manuscrits relatifs au livre-réceptacle.
En contrepartie, Richard Anacréon demanda qu’un Musée portant son nom soit créé à la Haute Ville, le quartier de son enfance. Ce fut chose faite en mil neuf cent quatre-vingt-cinq. La totalité de sa collection rejoignit le Musée quand il mourut à l’âge de quatre-vingt-cinq ans en mil neuf cent quatre-vingt-douze.
Depuis, le MamRA continue d’enrichir ses collections, en vente aux enchères, par don ou de gré à gré, et des dépôts permettent de diversifier les collections.
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Richard Anacréon, un personnage qui m’a été rendu familier par la lecture du Journal littéraire de Paul Léautaud, lequel fréquentait sa librairie, L’Originale, notamment pour y vendre, quand il manquait d’argent, certains des livres avec envoi qu’il avait reçus.
A cette époque où les libraires étaient aussi éditeurs, Léautaud a publié chez L’Originale Journal littéraire Fragment, illustré de quatre eaux-fortes d'André Dignimont, en mil neuf cent quarante-six, puis Souvenir de basoche, avec des eaux-fortes de G. Fournier, en mil neuf cent quarante-huit.
*
Paul Léautaud, dans son Journal littéraire en mil neuf cent quarante-cinq :
Anacréon, le libraire de la rue de Seine, me téléphone ce soir. Il a été passé quelques jours dans sa famille, à Saint-Jean-le-Thomas. Il a rapporté pour moi un petit jambonneau, tout cuit, prêt à manger. Je ne peux pas le lui refuser. Il ne voudra pas, naturellement que je le paie. Les gens obligeants, serviables, sont assommants. Il y a longtemps que je juge cette manie comme une sorte de tare.
Une aimable jeune femme m’accueille à qui je paie cinq euros cinquante, plein tarif. Elle me signale les trois expositions, la permanente consacrée à Richard Anacréon, et les deux temporaires, l’une consacrée à la Grande Guerre et l’autre à la vie granvillaise. Je commence par la partie Anacréon, essentiellement des tableaux, et pas seulement ceux qu’il possédait, très peu de livres.
Ce n’était pas ainsi dans mon souvenir mais il est lointain. Quand même, je crois qu’Anacréon ne reconnaîtrait pas son univers, ni son projet. Ses livres doivent être dans les réserves. Je note le portrait d’Anacréon par Edmond Heuzé, un sage portrait de femme par Pascin et La maison de l’artiste à la Naze de Vlaminck. Dans l’expo Grande Guerre, on trouve quelques livres et correspondances, dont une lettre de Georges Duhamel à Paul Léautaud, qui dans son Journal littéraire se moque de ce va-t-en-guerre. Dans la partie Granville, quelques toiles montrent la Haute Ville autrefois et une salle niaise est consacrée au sport.
Toast de guacamole, cuisse de canard rôtie, crème de parmesan, pommes de terre et carottes et quatre quart citron fraise, c’est le menu du Grand Café où je déjeune à midi. A ma droite, quatre collègues et six smartphones sur leur table. A ma gauche, une plus vieille que moi et un livre qu’elle lit entre deux assiettes, chose que je suis incapable de faire.
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Né dans la Haute Ville, Richard Anacréon quitta Granville à dix-sept ans pour tenter sa chance à Paris. Quelques années plus tard, il entra par hasard dans l’administration du Petit Parisien qu’il quitta pendant l’Occupation Il ouvrit alors une librairie qu’il nomma L’Originale, rue de Seine, et se spécialisa dans la vente d’ouvrages en édition originale. Sa boutique était fréquentée par Valéry, Colette, Jouhandeau, Fargue, Utrillo, Derain, Claudel, Carco, Léautaud, Cendrars, Reverdy, Mac Orlan, Genet, etc.
Dans les années Quatre-Vingt, Anacréon a fait don à sa ville natale de sa collection d’œuvres d’art (Derain, Van Dongen, Vlaminck, Utrillo, Laurencin, Signac, Friesz, Cross, Luce) et de ses livres en éditions rares, notamment ceux contenant des truffes. Car le malin libraire passa des dizaines d’années à obtenir, pour les glisser entre les pages, dessins, courriers, extraits de manuscrits relatifs au livre-réceptacle.
En contrepartie, Richard Anacréon demanda qu’un Musée portant son nom soit créé à la Haute Ville, le quartier de son enfance. Ce fut chose faite en mil neuf cent quatre-vingt-cinq. La totalité de sa collection rejoignit le Musée quand il mourut à l’âge de quatre-vingt-cinq ans en mil neuf cent quatre-vingt-douze.
Depuis, le MamRA continue d’enrichir ses collections, en vente aux enchères, par don ou de gré à gré, et des dépôts permettent de diversifier les collections.
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Richard Anacréon, un personnage qui m’a été rendu familier par la lecture du Journal littéraire de Paul Léautaud, lequel fréquentait sa librairie, L’Originale, notamment pour y vendre, quand il manquait d’argent, certains des livres avec envoi qu’il avait reçus.
A cette époque où les libraires étaient aussi éditeurs, Léautaud a publié chez L’Originale Journal littéraire Fragment, illustré de quatre eaux-fortes d'André Dignimont, en mil neuf cent quarante-six, puis Souvenir de basoche, avec des eaux-fortes de G. Fournier, en mil neuf cent quarante-huit.
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Paul Léautaud, dans son Journal littéraire en mil neuf cent quarante-cinq :
Anacréon, le libraire de la rue de Seine, me téléphone ce soir. Il a été passé quelques jours dans sa famille, à Saint-Jean-le-Thomas. Il a rapporté pour moi un petit jambonneau, tout cuit, prêt à manger. Je ne peux pas le lui refuser. Il ne voudra pas, naturellement que je le paie. Les gens obligeants, serviables, sont assommants. Il y a longtemps que je juge cette manie comme une sorte de tare.