Granville (trois) : cafés emblématiques

5 septembre 2024


Je connais Granville. J’y suis déjà venu seul et aussi avec celles qui me donnaient la main. Pourtant, j’ai du mal à y circuler sans m’égarer. Ce n’est pas une ville lisible.
Quand même, ce mercredi main, mon pain au chocolat acheté en face de ma porte de sortie à la Boulangerie du Casino, je retrouve aisément Le Grand Café qui se définit lui-même comme la « brasserie emblématique de Granville ».
Las, il devrait être ouvert mais ne l’est pas. L’homme à l’intérieur sort pour me dire que c’est trop tôt, la mise en place n’est pas faite. « J’ai lu que vous ouvrez à huit heures. » « Oui c’est vrai mais là on n’est pas prêt, la saison est terminée ». « Bon, je vais retourner au Derby. » « C’est bien aussi », me dit-il. « Oui mais ils écoutent Nostalgie. » « C’est vrai, qu’est-ce que vous voulez prendre, un café ?  Allez-y, entrez. »
L’endroit est chic avec vaisselle au nom de la maison. On y entend aussi de la musique mais c’est une liste à jouer sans publicités. L’allongé est à un euro soixante-dix. Il est huit heures vingt quand tout est prêt et qu’arrive le deuxième client, un homme à mobilité réduite. Il n’en manque pas à Granville, rapport au voisin de droite de mon studio Air Bibi, Le Normandy « Médecine Physique et de Réadaptation », devant lequel se relaient taxis et ambulances.
Comme il ne pleut pas, je prends l’escalier de compétition qui permet d’accéder à la Ville Haute. J’y suis le chemin de ronde, lequel, après le phare, devient un vrai sentier de randonnée menant à la pointe du Roc qui évoque la côte bretonne.
Il pleuviote quand je reviens vers l’église située au centre de cette Ville Haute. J’y entre m’abriter en attendant qu’elle sonne dix heures. Un jeune père y promène son enfançon en landau.
La cloche ayant retenti, je rejoins La Rafale, le seul café d’en haut, lui aussi emblématique, connu notamment pour sa convivialité et ses soirées qui s’achèvent à deux heures du matin, et où je suis venu avec celles qui me tenaient la main. Il vient d’ouvrir, comme indiqué. Déjà des locaux y sont. J’entre dans l’armoire qui donne accès aux toilettes puis je m’installe à une table de la première salle pour un café à un euro quarante. J’entreprends de lire le Journal de Lagarce, ce qui n’est pas chose facile car là aussi il y a de la musique. De plus, les présents s’interpellent de table en table par-dessus ma tête. On parle enfants, insomnies, maladies. «  C’est pour ça qu’on sort, c’est pour parler, on n’est pas des sauvages », déclare l’une. Je ne sais si je dois me sentir viser. « Personne est comme on voudrait qui soit », ajoute une autre. Vers onze heures et demie, je me retrouve soudain seul. Malheureusement, la gérante augmente le volume de la musique, comblant le vide avec du bruit, ce qui me décide à partir.
Je descends sur le Port par la rampe de Monte-à-Regret puis retourne au Grand Café pour déjeuner de la formule à dix-huit euros : wrap thon concombre et pavé de saumon rôti riz à la provençal (sic) crème de poireaux (hier à The Tender Bar, la serveuse annonçait le pavé de saumon comme « la pêche du jour »).
Ce déjeuner terminé, je vais m’asseoir sur un muret au Plat Gousset où c’est la guerre entre les pique-niqueurs et les goélands et je retrouve Lagarce. Une lecture que je vais poursuivre au Derby car la pluie revient, se transformant bientôt en un déluge qui emplit de clientèle ce troquet non emblématique. Un bébé qui braille couvre le son de la radio.
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« La saison est terminée », un propos entendu plusieurs fois depuis mon arrivée, destiné à justifier un certain relâchement.
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Je me pose parfois quelques petites questions sur ma présence ici, le vide de mon existence, mais n’est-ce pas toujours ainsi que les choses se passent ?... (Jean-Luc Lagarce, Journal, jeudi treize décembre mil neuf cent quatre-vingt-quatre)