Granville (sept) : alerte orange

9 septembre 2024


Alerte orange pluie inondation de Météo France pour la Manche à partir de samedi soir. Dans les faits, cela se traduit par de fortes précipitations à partir de quatre heures du matin. Pas de quoi cependant inonder le bas de Granville.
La pluie se calme lorsque vers huit heures je pars à la recherche d’une boulangerie ouverte le dimanche. Il y en a deux rue Couraye, l’artère principale de la ville qui monte à la Gare. J’achète mon pain au chocolat (un euro vingt) à la première rencontrée, Robert la Flûte Gana, puis continue à monter jusqu’à atteindre le Café de la Gare, le seul du quartier ouvert à cette heure. Une clientèle d’habitué(e)s est déjà là. L’une porte sur la tête un plastique translucide comme en mettait ma mère quand elle allait faire ses courses à bicyclette sous la pluie. « On va perdre le tourisme en Normandie si ça continue comme ça » s’inquiète un autre. « Moi je suis de gauche, dit un troisième, mais si j’avais été patron, j’aurais été un enculé. » L’allongé est à un euro quarante.
Ce n’est pas un endroit où lire Lagarce. Je redescends vers neuf heures pour ce faire, malgré Nostalgie, au Derby où la clientèle est quand même un peu moins pénible. Certains ne posent qu’une fesse sur les tabourets du bar. Ils parlent pluie. Ça va se dégager un peu et puis à deux heures avec la marée, ça va revenir.
Ça se dégage un peu en effet. Je saisis l’occasion pour aller marcher sur la Promenade du Plat Gousset. C’est marée haute. La mer est énervée. Elle cogne contre la Promenade et à certains endroits passe par-dessus le muret. Dans la boîte à livres, je trouve Hexagoneries de Roland Bacri, publié chez Seghers en mil neuf cent soixante-seize, avec un dessin de couverture de Kerleroux.
A midi j’entre au Pirate et y commande un burgueur Corsaire (avec fromage de Savoie, jambon fumé, oignons confits, tomate, salade et sauce moutarde) à quatorze euros quatre-vingt-dix. De nombreuses tables sont réservées par la clientèle du dimanche, moitié bourgeoisie locale, moitié tourisme de passage. Ambiance feutrée, musique piano jazzy. Faute de goût, le Coca servi en canette. Premier couple de voisins, elle : « Après, ce que je te propose, c’est de remonter tout doucement. » Second couple de voisins, elle : « Ce soir, on peut manger le melon. » La vie des autres est passionnante.
Dès douze heures trente, il pleut à fond. Je me mets au sec sous l’auvent de la terrasse pour prendre un café et lire Lagarce. Ce faisant, j’assiste au spectacle d’une population arrivant trempée, certaine d’être à bon port et refusée parce que c’est complet.
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Jean-Luc Lagarce, Journal :
Dimanche 2 février 1986
Strasbourg 12h30
Débat public, ici, sur le thème culturel « Quelle écriture contemporaine, pour quel Monde contemporain ? » (sic !) Avec les inévitables intellectuels barbus, anciens dramaturges du TNS, l’auteur qui écrit, mais que personne ne lit et l’acteur-metteur-en-scène-animateur grisonnant, défenseur de la décentralisation.
(…)
Avec dans le public – « Y a-t-il des questions ? » – l’inévitable grosse fille laide qui parle au nom du « peuple » (sic !)  et qui pense que Molière lui, est un auteur populaire, à la différence de ces pièces avec des hommes qui tiennent un verre de whisky… (re-sic !)
A part ça, la ville de Strasbourg dans le froid épouvantable, c’est douloureux et triste. Cela m’émeut et avec ma grippe méprisable, le visage blanc, je songe à fuir vers l’Allemagne…