Granville (dix-sept) : Champeaux

19 septembre 2024


Beau temps encore ce mercredi, j’utilise ma carte Nomad, dix voyages de proximité pour quinze euros, au maximum de sa capacité kilométrique en allant à Champeaux, juste après Carolles. Deux kilomètres plus loin, c’est Saint-Jean-de-Thomas. Il faut pour y aller une carte à vingt-cinq euros. Ce sont les petits calculs d’Hervé Morin, Duc de Normandie, chef des transports Nomad.
« A cause des travaux à Carolles, je vous déposerai au niveau d’un restaurant », me dit le chauffeur du Trois Cent Huit. « Et pour le retour ? » « Vous en faites pas, je vous expliquerai, faut bien que je serve à quelque chose. » Avec moi dans le car au départ de Granville, un vieux couple qui va au Mont (des touristes) et une femme qui va à Géant Casino devenu Intermarché (une travailleuse).
Champeaux est le pays des falaises. C’est aussi celui des chevaux, me dis-je en descendant du car devant le restaurant Chez Coco. « Au retour, c’est là-bas, devant le restaurant Le Marquis de Tombelaine », m’explique l’aimable chauffeur. Je vais voir les chevaux, des pur-sang qui s’éloignent et un percheron qui m’ignore. Nous sommes à un kilomètre du centre du bourg.
Je marche sur la grand-route, me demandant où donc est le chemin côtier de randonnée. J’arrive à une petite route pentue à quinze pour cent. Elle me mène pile à la Cabane Vauban. Car Champeaux à la sienne, semi-enterrée, plus rudimentaire que celle de Carolles et non signalée. Le sentier est là mais en le parcourant on ne peut pas voir la mer car la végétation la cache. De plus, il m’apparaît dangereux pour un vieux. J’y renonce. Je me pose sur le banc en bois qui jouxte la Cabane et je sors Lagarce
Je reste là de dix à onze heures. Peu de passage devant moi : un grand-père avec son petit-fils ou sa petite-fille sur le dos suivi de sa fille, devant les deux chiens (plutôt sympathiques), un coureur qui me dit bonjour (c’est rare), une fille seule et souriante (je l’aurais acceptée au bout de mon banc), un couple de sexagénaires (ils se tiennent à la corde) et quelques papillons. Pendant ce temps, la mer descend.
A ma gauche est la plage de Saint-Jean-de-Thomas. Ce n’est pas loin. Je pourrais y aller mais il faudrait ensuite remonter et il y a déjà suffisamment d’effort à faire pour retrouver le restaurant Chez Coco. C’est ouvert. On y propose un menu du jour à quinze euros avec buffet d’entrées et quart de vin inclus. Chez le Marquis, c’est plus cher : moules frites à dix-sept euros, plat du jour à vingt et un. En attendant midi, je prends un café à l’extérieur avec vue sur le carrefour et au loin les chevaux et la mer.
« Vous êtes le premier », me dit la serveuse. « C’est souvent le cas », lui réponds-je. Comme plat je choisis la langue sauce piquante gratin de courgettes et comme dessert une crème caramel beurre salé. Tout cela est correct. « On voit la mer, observe ma voisine de derrière, c’est peu de chose de voir la mer mais c’est beaucoup. » J’ai le temps de  boire un café à l’extérieur à une table maintenant au soleil avant d’aller devant chez le Marquis attendre le car de treize heures onze.
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Une cliente du Café de la Gare pendant mon petit-déjeuner : « L’avantage que tu sois dans une impasse, c’est qu’il n’y a pas de passage. »
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Vivre seul. Entendons par là, ne rien donner. Rester imperméable (tenter de le rester). (Jean-Luc Lagarce Journal jeudi vingt et un août mil neuf cent quatre-vingt-six)