Exposition Jean Echenoz, roman, rotor, stator à la Bibliothèque Publique d’Information

1er décembre 2017


Quittant l’exposition consacrée à Derain, ce mercredi, je me laisse descendre par l’escalier mécanique du Centre Pompidou jusqu’à l’étage de la Bibliothèque Publique d’Information. Un jeune homme se trouve devant la porte habituellement fermée au public. Je lui montre comme sésame ma nouvelle carte d’adhérent. C’est aujourd’hui l’ouverture de l’exposition Jean Echenoz, roman, rotor, stator, la première consacrée en ce lieu à un écrivain vivant.
Celle-ci se tient dans un angle de l’immense salle où l’on étudie. Elle est en forme de double circonférence (rotor stator), avec en son centre un double banc en demi-lune, et tire son nom de ce passage du Méridien de Greenwich : Au double, triple jeu succède l’absence de jeu, à l’effervescence, la répétition, au rotor, le stator.
Tourner en rond, revenir au point de départ, autrement dit faire du sur place, c’est à quoi sont invités les visiteurs. Je suis le seul en ce début d’après-midi. Une surveillante tourne dans l’autre sens. Echenoz a donné ses archives à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. C’est à partir de ces documents qu’a été élaborée l’exposition : manuscrits, tapuscrits, correspondances, carnets, photos, etc. S’y ajoutent deux ou trois enregistrements d’émissions de télé et quelques œuvres d’art, dont plusieurs exemplaires de 14 dont les couvertures ont été illustrées par Jacques Villeglé.
Des citations murales enrichissent l’étude littéraire des textes de cet écrivain majeur dont j’aimais beaucoup lire les romans facétieux du temps que je lisais de la fiction. Sont recensés figures par deux, gag verbal, réécriture humoristique, récursivité, narration expéditive et zeugmes.
Au centre du double cercle, là où sont les bancs, deux casques descendent du plafond. On peut y ouïr Olivier Cadiot décryptant Ravel. Plus qu’une lecture, une interprétation personnelle vraiment attrayante dont j’écoute un bon morceau. C’est très bien dit. Il ne faut pas être nombreux (deux casques). Je suis tout seul. L’autre casque pend dans le vide. Les quelques visiteurs arrivés après moi s’agglutinent devant les vidéos.
La dilection que j’ai pour les zeugmes m’amène à en copier certains tandis qu’Olivier Cadiot décrypte dans mes oreilles (de quoi faire le bonheur du compilateur au cas où il songerait à une nouvelle édition augmentée de son livre sur le sujet):
A sa place se trouvait un jeune couple, collier de barbe et collier de perles, avec deux femmes entre deux âges et deux congrès. (tiré de Cherokee)
Ce dernier arborait une large cravate crémeuse sur une chemise en tergal chocolat, ce qui lui donnait une allure confuse de souteneur et de petit-déjeuner. (tiré de Cherokee)
La paupière de Morgan battait froidement sur son œil de bille, qu’il posa sur George Chave sans montrer de reconnaissance ni de reconnaissance. (le comble du zeugme, tiré de Cherokee)
Juste en amont du confluent avec la Marne, un vaste complexe commercial et hôtelier chinois dresse son architecture mandchoue au bord du fleuve et de la faillite. (mon préféré, tiré de Je m’en vais)
Après avoir lu une lettre de Jérôme Lindon, recensant quelques obscurités ou erreurs minimes dans un tapuscrit, et une, enthousiaste, de Jean-Patrick Manchette, j’arrive au bout, c’est à dire au point de départ. Une citation de grande taille tirée de Cherokee pose la question existentielle essentielle :
-Bon, dit Fred. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
Eh bien, je m’en vais, d’abord chez Gilda qui sur son trottoir n’a pas de livres pour moi puis au second Book-Off où je n’en achète qu’un.
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Gare Saint-Lazare, la voix de la Senecefe s’adressant aux voyageurs de la banlieue, étonnée que tout aille bien pour une fois : « Vous circulez sereinement pour rejoindre l’ensemble de vos gares ». C’est tout aussi sereinement que je rejoins Rouen avec l’habituelle bétaillère.
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L’exposition Echenoz permet aux possesseurs de billet ou d’une carte d’adhérent d’entrer sans attendre à la Bépéhi où c’est toujours un plaisir d’être. Une bibliothèque digne de ce nom. Pour y entrer, les étudiants et autres (dont quelques clochards) doivent subir une attente interminable rue Beaubourg.
Face à l’exposition circulaire se trouve un Salon de lecture Jean Echenoz où il est loisible de lire les livres dudit, partiellement occupé, mais par des quidams lisant autre chose.
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-Bon, dit Fred. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
-Je sors pas. Je me couche ici. Pourquoi vous voulez pas m’aider ?
C’était un étranger bien habillé. Il s'adressait à l’une des employées de la Bépéhi.
Elle lui a demandé de parler moins fort. Je crois qu’il espérait être recruté par cette institution.
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Ça m’a plu, intrigué, inquiété presque. Tu écris trop mystérieusement pour que je te prête avec assurance des attentions précises. Tout de même, il m’a semblé que «Nous trois» baigne dans l’insécurité effectivement réelle du monde de ces temps-ci. (Jean-Patrick Manchette à Jean Echenoz)