« Mesdames et messieurs, nous arrivons en gare de Paris Saint-Lazare avec dix minutes de retard suite à quelques minutes perdues entre Le Havre et Rouen à cause de travaux, du coup nous n’étions plus dans notre sillon horaire et nous avons dû traîner derrière un train de banlieue. »
Ainsi parle le chef de bord du sept heures vingt-huit ce mercredi. Cela ne me fâche pas. J’ai le temps, après avoir traîné dans les embouteillages avec le bus Vingt jusqu’à la place de la Bastille dont le monument en réfection est désormais aux couleurs de Calvin Klein, d’arriver à l’heure de l’ouverture du Book-Off de Ledru-Rollin. La place des livres y est en diminution, me semble-t-il, ce qui m’allège pour la suite.
Cette suite me mène, par la ligne Un du métro, aux Sablons, un quartier de Neuilly. J’entre dans la seule brasserie visible. Nommée Le Jardin, elle propose une formule entrée plat à quinze euros et est prise d’assaut par une clientèle moitié populaire moitié bourge. J’opte pour l’aumônière de boudin aux épinards et le couscous poulet merguez. Le quart de côtes-du-rhône n’est qu’à quatre euros cinquante. A ma droite mange une habituée bourgeoise qui se partage, dit-elle, entre ici et Cabourg. Elle a eu des soucis de dépression suite au départ de son compagnon, mais en Normandie elle voit une dame pas vraiment psychologue mais qui a le don. Rencontrer un autre homme n’est pas facile. « Pour s’amuser, ça on trouve toujours mais quand il s’agit de s’engager. »
A une heure moins le quart, c’est archi complet. Des déçus font la queue à l’intérieur et ceux qui avaient pris la peine de téléphoner apprennent que leur table n’est plus libre : « Trop tard, les réservations ne sont garanties que jusqu’à midi et demi grand maximum. ». Je sors de là bien restauré et eux mécontents.
Si je suis à Neuilly, ce n’est pour surprendre Sarkozy dans l’exercice de ses passions privées, mais pour visiter l’exposition Icônes de l’art moderne (La collection Chtchoukine) à la Fondation Vuitton relouquée par Daniel Buren. Je l’atteins après dix minutes de marche. Cet expo devait être inaugurée par Poutine mais il ne s’est pas entendu avec Hollande. La longue file d’attente est adroitement masquée. Double file, devrais-je dire, car celles et ceux qui ont réservé par Internet doivent attendre presque aussi longtemps que les sans billets. Derrière moi sont des femmes que je soupçonne fort être des enseignantes à la retraite :
-Je me rappelais pas qu’il y avait autant de couleurs.
-A moins qu’ils aient changé.
-Ce n’était peut-être pas fini.
-Non, c’est pas possible.
Une heure plus tard, j’arrive au guichet où n’opèrent que deux personnes et y paie mes seize euros. Ensuite il me faut encore attendre longuement pour mettre mon sac à dos au vestiaire puis longuement pour passer aux toilettes.
-Il y a un problème structurel, commente un homme à cheveux blancs qui a une tête d’architecte.
Quatre-vingts pour cent du public a les cheveux gris ou blancs. C’est l’un des points communs de ce lieu avec l’Opéra de Rouen. L’autre étant que les gardiens y sont habillés comme les musiciens de l’Orchestre, costume noir chemise blanche cravate rouge.
Chtchoukine fut un collectionneur russe de peinture moderne. Il dut s’exiler après la Révolution de Dix-Sept. Ses tableaux furent confisqués par les Bolcheviques et sont désormais partagés entre le Musée Pouchkine de Moscou et L’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Il y a du très bon, quelques Van Gogh, Monet, Rousseau, plusieurs Gauguin, Matisse, Picasso, et aussi du moins bon, mais l’insupportable c’est le monde à l’intérieur des salles, pire qu’au restaurant Le Jardin. De plus, le cheminement est obligé, impossible de revenir en arrière. Une guide explique à un groupe que contrairement à ce que faisait Chtchoukine qui accrochait un maximum de tableaux les uns à côté des autres sur ses murs, ici on les montre éloignés l’un de l’autre afin de permettre un regard individuel sur chacun. Nous ne sommes jamais moins de quinze devant une peinture et plusieurs centaines dans chaque salle. Arrivé au bout, je trouve un escalier intérieur où ne passe personne, grimpe dans les entrailles du bâtiment de Gehry, et ressors sur la terrasse supérieure. Il fait très beau. La lumière du soleil joue avec les panneaux de Buren. Je fais moult photos en passant, par l’extérieur, d’un niveau à l’autre.
-C’est moderne, constate l’un.
-C’est dommage toutes ces couleurs, dit une autre.
Je ressors par le Jardin d’Acclimatation d’où je fais d’autres photos puis, les pieds cuits, regagne la gare Saint-Lazare.
Le train de dix-huit heures trente ne risque pas de traîner derrière un train de banlieue. Ceux-ci ne circulent pas suite à un mouvement de grève inopiné des conducteurs après qu’un voyageur s’en est pris verbalement à l’un d’eux et qu’un cadre de la Senecefe a pris le parti de cet usager. Plus tôt dans l’après-midi, ce sont tous les trains qui avaient cessé de circuler en raison du suicide d’une femme de quarante-neuf ans à Poissy.
*
La question que je m’abstiens de poser et que l’on entend sans cesse au guichet de la Fondation Vuitton : « Vous faites quelque chose pour les plus de soixante ? » Rien du tout, c’est seize euros.
*
La phrase type de la bourgeoisie de Neuilly, dite à n’importe qui de rencontre : « Ça fait plaisir de vous voir ! »
Ainsi parle le chef de bord du sept heures vingt-huit ce mercredi. Cela ne me fâche pas. J’ai le temps, après avoir traîné dans les embouteillages avec le bus Vingt jusqu’à la place de la Bastille dont le monument en réfection est désormais aux couleurs de Calvin Klein, d’arriver à l’heure de l’ouverture du Book-Off de Ledru-Rollin. La place des livres y est en diminution, me semble-t-il, ce qui m’allège pour la suite.
Cette suite me mène, par la ligne Un du métro, aux Sablons, un quartier de Neuilly. J’entre dans la seule brasserie visible. Nommée Le Jardin, elle propose une formule entrée plat à quinze euros et est prise d’assaut par une clientèle moitié populaire moitié bourge. J’opte pour l’aumônière de boudin aux épinards et le couscous poulet merguez. Le quart de côtes-du-rhône n’est qu’à quatre euros cinquante. A ma droite mange une habituée bourgeoise qui se partage, dit-elle, entre ici et Cabourg. Elle a eu des soucis de dépression suite au départ de son compagnon, mais en Normandie elle voit une dame pas vraiment psychologue mais qui a le don. Rencontrer un autre homme n’est pas facile. « Pour s’amuser, ça on trouve toujours mais quand il s’agit de s’engager. »
A une heure moins le quart, c’est archi complet. Des déçus font la queue à l’intérieur et ceux qui avaient pris la peine de téléphoner apprennent que leur table n’est plus libre : « Trop tard, les réservations ne sont garanties que jusqu’à midi et demi grand maximum. ». Je sors de là bien restauré et eux mécontents.
Si je suis à Neuilly, ce n’est pour surprendre Sarkozy dans l’exercice de ses passions privées, mais pour visiter l’exposition Icônes de l’art moderne (La collection Chtchoukine) à la Fondation Vuitton relouquée par Daniel Buren. Je l’atteins après dix minutes de marche. Cet expo devait être inaugurée par Poutine mais il ne s’est pas entendu avec Hollande. La longue file d’attente est adroitement masquée. Double file, devrais-je dire, car celles et ceux qui ont réservé par Internet doivent attendre presque aussi longtemps que les sans billets. Derrière moi sont des femmes que je soupçonne fort être des enseignantes à la retraite :
-Je me rappelais pas qu’il y avait autant de couleurs.
-A moins qu’ils aient changé.
-Ce n’était peut-être pas fini.
-Non, c’est pas possible.
Une heure plus tard, j’arrive au guichet où n’opèrent que deux personnes et y paie mes seize euros. Ensuite il me faut encore attendre longuement pour mettre mon sac à dos au vestiaire puis longuement pour passer aux toilettes.
-Il y a un problème structurel, commente un homme à cheveux blancs qui a une tête d’architecte.
Quatre-vingts pour cent du public a les cheveux gris ou blancs. C’est l’un des points communs de ce lieu avec l’Opéra de Rouen. L’autre étant que les gardiens y sont habillés comme les musiciens de l’Orchestre, costume noir chemise blanche cravate rouge.
Chtchoukine fut un collectionneur russe de peinture moderne. Il dut s’exiler après la Révolution de Dix-Sept. Ses tableaux furent confisqués par les Bolcheviques et sont désormais partagés entre le Musée Pouchkine de Moscou et L’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Il y a du très bon, quelques Van Gogh, Monet, Rousseau, plusieurs Gauguin, Matisse, Picasso, et aussi du moins bon, mais l’insupportable c’est le monde à l’intérieur des salles, pire qu’au restaurant Le Jardin. De plus, le cheminement est obligé, impossible de revenir en arrière. Une guide explique à un groupe que contrairement à ce que faisait Chtchoukine qui accrochait un maximum de tableaux les uns à côté des autres sur ses murs, ici on les montre éloignés l’un de l’autre afin de permettre un regard individuel sur chacun. Nous ne sommes jamais moins de quinze devant une peinture et plusieurs centaines dans chaque salle. Arrivé au bout, je trouve un escalier intérieur où ne passe personne, grimpe dans les entrailles du bâtiment de Gehry, et ressors sur la terrasse supérieure. Il fait très beau. La lumière du soleil joue avec les panneaux de Buren. Je fais moult photos en passant, par l’extérieur, d’un niveau à l’autre.
-C’est moderne, constate l’un.
-C’est dommage toutes ces couleurs, dit une autre.
Je ressors par le Jardin d’Acclimatation d’où je fais d’autres photos puis, les pieds cuits, regagne la gare Saint-Lazare.
Le train de dix-huit heures trente ne risque pas de traîner derrière un train de banlieue. Ceux-ci ne circulent pas suite à un mouvement de grève inopiné des conducteurs après qu’un voyageur s’en est pris verbalement à l’un d’eux et qu’un cadre de la Senecefe a pris le parti de cet usager. Plus tôt dans l’après-midi, ce sont tous les trains qui avaient cessé de circuler en raison du suicide d’une femme de quarante-neuf ans à Poissy.
*
La question que je m’abstiens de poser et que l’on entend sans cesse au guichet de la Fondation Vuitton : « Vous faites quelque chose pour les plus de soixante ? » Rien du tout, c’est seize euros.
*
La phrase type de la bourgeoisie de Neuilly, dite à n’importe qui de rencontre : « Ça fait plaisir de vous voir ! »