Il drache à fond quand je sors du Péhemmu chinois du faubourg Saint-Antoine. Je fonce sous terre. La ligne Huit m’emmène jusqu’à Opéra d’où je rejoins au plus vite la brasserie Les Ducs où l’on m’accepte pour un café bien que ce soit encore l’heure du service de restaurant. J’y suis en bonne compagnie avec Giacomo Leopardi dont je relis les extraits du Zibaldone réunis sous le titre Philosophie pratique. Cette noirceur m’est remède à la mélancolie.
Vers quinze heures, j’entre au second Book-Off où ce mercredi les employés sont tous mâles. Finis les moments de rigolade de quand les filles étaient majoritaires. On y a renouvelé les rayonnages pendant mon absence.
Au bout d’une heure et demie, j’ai dans mon panier onze livres à un euro qui m’intéressent à des degrés divers : A l’instant de Luc et Christian Boltanski chez Melville Léo Scheer, Bloody Mary de Jean-Pierre Bouyxou aux Ateliers de Tayrac, Les Violettes sont des fleurs du désir d’Ana Clavel chez Métailié (que j’ai déjà), Ma petite poésie ne connaît pas la crise de Jean-Pierre Verheggen chez Gallimard, Les autodafés nazis de Didier Chauvet chez L’Harmattan, De Tunis à Kairouan de Guy de Maupassant aux Editions Ibn Charaf (avec des illustrations de Moncef Charfeddine), La Doulou d’Alphonse Daudet dans la jolie édition de Michel de Maule, L’art et l’artisanat de William Morris chez Rivages poche, Petit catéchisme à l’usage de la classe inférieure d’August Strindberg chez Babel/Actes Sud, Printemps français suivi de poèmes satiriques de Stig Dagerman chez Ludd et l’utile et récent Almanach des crimes et des catastrophes de Raymond Clément aux Editions du Panthéon (c'est-à-dire à compte d’auteur).
Je prends un dernier café A la Ville d’Argentan pas loin d’une quinquagénaire occupée à remplir la semaine de son agenda à l’aide de L'Officiel des spectacles dont elle tourne les pages en mouillant son doigt. Rien n’est moins érotique.
Quand il s’agit de revenir à Rouen avec le dix-sept heures quarante-huit, il n’est point là. Quinze minutes de retard sont annoncées, puis trente, puis on ne sait pas. Lorsque l’omnibus de dix-huit heures trente est affiché, la foule s’y précipite, parmi laquelle not’ bon Maire, Yvon Robert, ballotté comme bouchon. Ce train à deux étages est bientôt blindé. La bétaillère attendue se pointe enfin. J’y trouve une place assise. « Vous êtes bien dans le train pour Le Havre qui est enfin arrivé en gare de Paris Saint-Lazare », nous annonce ironiquement le chef de bord. Il n’y a pas que les usagers qui n’en peuvent plus. Une partie du trop-plein du dix-huit heures trente vient se déverser dans le nôtre à l’invitation de son chef de bord. Une femme s’inquiète de ne pas avoir vue sur sa valise. Elle croit que l’on voyage encore comme dans l’ancien monde. Nous partons avec quarante-huit minutes de retard. Tout va bien jusqu’à un arrêt inopiné. « Je vais essayer de savoir ce qui se passe car actuellement je n’en ai pas la moindre idée », annonce le chef de bord. Le train repart, on n’en saura pas plus. A l’arrivée à Rouen, cela fait cinquante-trois minutes de retard. Ceux qui avaient une correspondance pour Serqueux termineront leur voyage à l’aide de taxis payés par la Senecefe.
*
La vie des autres : sa fille s’est démis le pied en séparant les deux chiens qui se battaient dans la cour, elle est enceinte de quatre mois, son fils joue aux jeux vidéo toute la nuit, il empêche tout le monde de dormir, son mari vient de mourir. « Depuis le drame », dit-elle quand elle en parle. Ce qu’elle ne comprend pas : qu’un collègue de travail qui ne lui dit jamais bonjour soit venu à l’enterrement.
*
Au sept mars dans l’Almanach des crimes et des catastrophes, celui de mil huit cent quatre-vingt-six :
Arthur Belon, âgé de dix ans, y est jugé par la Cour d’Assises de la Martinique pour avoir passé une ficelle autour du cou de la petite Thérèse Famy, âgée de cinq ans, avant de la frapper mortellement à la tête avec une pierre. Son âge lui est circonstance atténuante, il est condamné à sept ans d’emprisonnement dans une maison de correction.
Vers quinze heures, j’entre au second Book-Off où ce mercredi les employés sont tous mâles. Finis les moments de rigolade de quand les filles étaient majoritaires. On y a renouvelé les rayonnages pendant mon absence.
Au bout d’une heure et demie, j’ai dans mon panier onze livres à un euro qui m’intéressent à des degrés divers : A l’instant de Luc et Christian Boltanski chez Melville Léo Scheer, Bloody Mary de Jean-Pierre Bouyxou aux Ateliers de Tayrac, Les Violettes sont des fleurs du désir d’Ana Clavel chez Métailié (que j’ai déjà), Ma petite poésie ne connaît pas la crise de Jean-Pierre Verheggen chez Gallimard, Les autodafés nazis de Didier Chauvet chez L’Harmattan, De Tunis à Kairouan de Guy de Maupassant aux Editions Ibn Charaf (avec des illustrations de Moncef Charfeddine), La Doulou d’Alphonse Daudet dans la jolie édition de Michel de Maule, L’art et l’artisanat de William Morris chez Rivages poche, Petit catéchisme à l’usage de la classe inférieure d’August Strindberg chez Babel/Actes Sud, Printemps français suivi de poèmes satiriques de Stig Dagerman chez Ludd et l’utile et récent Almanach des crimes et des catastrophes de Raymond Clément aux Editions du Panthéon (c'est-à-dire à compte d’auteur).
Je prends un dernier café A la Ville d’Argentan pas loin d’une quinquagénaire occupée à remplir la semaine de son agenda à l’aide de L'Officiel des spectacles dont elle tourne les pages en mouillant son doigt. Rien n’est moins érotique.
Quand il s’agit de revenir à Rouen avec le dix-sept heures quarante-huit, il n’est point là. Quinze minutes de retard sont annoncées, puis trente, puis on ne sait pas. Lorsque l’omnibus de dix-huit heures trente est affiché, la foule s’y précipite, parmi laquelle not’ bon Maire, Yvon Robert, ballotté comme bouchon. Ce train à deux étages est bientôt blindé. La bétaillère attendue se pointe enfin. J’y trouve une place assise. « Vous êtes bien dans le train pour Le Havre qui est enfin arrivé en gare de Paris Saint-Lazare », nous annonce ironiquement le chef de bord. Il n’y a pas que les usagers qui n’en peuvent plus. Une partie du trop-plein du dix-huit heures trente vient se déverser dans le nôtre à l’invitation de son chef de bord. Une femme s’inquiète de ne pas avoir vue sur sa valise. Elle croit que l’on voyage encore comme dans l’ancien monde. Nous partons avec quarante-huit minutes de retard. Tout va bien jusqu’à un arrêt inopiné. « Je vais essayer de savoir ce qui se passe car actuellement je n’en ai pas la moindre idée », annonce le chef de bord. Le train repart, on n’en saura pas plus. A l’arrivée à Rouen, cela fait cinquante-trois minutes de retard. Ceux qui avaient une correspondance pour Serqueux termineront leur voyage à l’aide de taxis payés par la Senecefe.
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La vie des autres : sa fille s’est démis le pied en séparant les deux chiens qui se battaient dans la cour, elle est enceinte de quatre mois, son fils joue aux jeux vidéo toute la nuit, il empêche tout le monde de dormir, son mari vient de mourir. « Depuis le drame », dit-elle quand elle en parle. Ce qu’elle ne comprend pas : qu’un collègue de travail qui ne lui dit jamais bonjour soit venu à l’enterrement.
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Au sept mars dans l’Almanach des crimes et des catastrophes, celui de mil huit cent quatre-vingt-six :
Arthur Belon, âgé de dix ans, y est jugé par la Cour d’Assises de la Martinique pour avoir passé une ficelle autour du cou de la petite Thérèse Famy, âgée de cinq ans, avant de la frapper mortellement à la tête avec une pierre. Son âge lui est circonstance atténuante, il est condamné à sept ans d’emprisonnement dans une maison de correction.