Est-ce que ce monde est petit ?

14 août 2015


La première, je la connais depuis ses années de lycée. Ses études à la fac ont tourné court. L’an dernier, elle m’annonce qu’elle va saisir la possibilité donnée à qui a le bac et a travaillé au moins cinq ans de passer le concours de prof des écoles. Elle étudie à fond pendant un an et pour ses trente ans atteint son objectif.
La deuxième, je lui parle pour la première fois mardi dernier quand je la croise dans la rue Saint-Nicolas avec ses deux jeunes enfants. Auparavant, nos échanges se résumaient à un bonjour quand elle fumait devant son magasin qui a fermé brutalement. Elle m’explique ses déboires avec la propriétaire de la boutique et me dit que comme elle a travaillé dix ans elle songe à passer le concours pour être prof des écoles. Elle a une copine qui l’a fait, me dit-elle. Je lui dis que je connais aussi quelqu’une dans ce cas et que si cette dernière est d’accord je lui donnerai son numéro de téléphone.
Elle me dit alors qu’elle me voyait autrefois dans le train entre Val-de-Reuil et Paris. Elle est très physionomiste. Ce n’est pas comme moi, lui dis-je, je n’ai pas eu l’impression de vous avoir déjà vue quand je vous ai dit bonjour la première fois. « J’avais dix ou douze ans », me fait-elle remarquer. Elle en a vingt-neuf. Il apparaît qu’elle a pu me voir ailleurs aussi, dans l’une des écoles de Védéherre. Elle était amie avec la fille d’une institutrice de ma connaissance.
Quand je parle de la deuxième à la première, lui expliquant que cette inconnue me connaissait depuis longtemps, et lui demande si elle est d’accord pour que je lui donne son numéro de téléphone, lui parlant de la boutique que tenait cette fille, elle s’exclame « Je la connais, c’est une copine à moi » et en conclut que le monde est petit.
J’aimerais trouver une autre conclusion mais quelle ?
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Ce vendredi matin au Rêve de l’Escalier une femme s’enthousiasme à haute voix. Elle est de la région parisienne et n’a pourtant jamais vu ça. Elle fait ses compliments au bouquiniste qui boit du petit lait (comme on dit) tandis que je ricane intérieurement.
-Vous ne connaissez pas de librairie semblable à la vôtre sur Paris ? demande-t-elle.
Non, il ne connaît pas. Je me tais, ne voulant pas vanter d’autres boutiques en cette boutique, et puis je ne supporte pas qui dit « sur Paris » au lieu de « à Paris ».
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Auparavant, je prends livraison au Clos Saint-Marc de trois tomes de l’édition du centenaire de la Correspondance de Flaubert. Il manque le quatrième, pourtant promis, mais je n’en fais pas reproche au bouquiniste, d’autant qu’il a, à ma demande, couvert les livres d’un plastique translucide.
Comme ce matin il déstocke à un euro, je lui achète aussi cinq autres livres dont l’énorme Histoire et dossier de la prostitution de Servais et Laurend (L’Encyclopédie contemporaine) et le mince et prometteur Petit manuel du parfait aventurier de Pierre Mac Orlan (Mercure de France).
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Parfois on me demande : « Ce n’est pas toi qui as écrit qu’il n’était plus question que tu te laisses envahir par les livres ? »