Un livre dans lequel est évoqué l’abbé Mugnier est forcément un bon livre, pensé-je avec une certaine mauvaise foi. L’un de ceux-ci est le Traité de la ponctuation française de Jacques Drillon (Tel/Gallimard) dont la lecture m’a donné grand plaisir et peut-être meilleur usage de la virgule, du deux-points et du point-virgule.
Celui que Drillon qualifie de « plus attachant des ecclésiastiques mondains » se fait remonter la soutane :
… l’abbé Mugnier, le plus attachant des ecclésiastiques mondains, mais le plus mauvais « ponctueur » qu’il se puisse imaginer, ne mangeait pas tous les jours (grâce au ciel, les princesses ne manquaient pas de pourvoir son assiette de mets nourrissants)… C’est du moins ce qu’il faudrait croire à la lecture de son Journal :
Dîné, hier Faubourg Saint-Honoré, avec la princesse Bibesco. (18.XII.1911)
Dîné hier, chez la princesse Bibesco. (25. XII.1911)
Dîné, hier, chez la princesse Bibesco. (28.I.1912)
Que n’a-t-il, simplement, dîné hier chez la princesse Bibesco ! La virgule le rend affamé…
D’autres écrivains font les frais du mauvais esprit de Jacques Drillon, ainsi François Bon et Françoise Sagan :
François Bon parle d’« une langue qui tient, tient sans ponctuation marquée » (la sienne n’est pas dans ce cas, comme on peut le constater)…
Quant à Françoise Sagan, elle avait exigé qu’on écrivît ainsi le titre d’un de ses romans :
Aimez-vous Brahms..
… sans troisième point, ni point d’interrogation. Mais sa consigne n’a pas été longtemps respectée : son éditeur avait dû la trouver un peu puérile.
Ses ennemis sont les typographes, à qui il reproche des idées arrêtées, ainsi :
Il est interdit par les typographes de mettre un deux-points après un point d’interrogation ou d’exclamation. Il ne faut pas hésiter à passer outre à cette règle mal fondée.
Le livre de Drillon me rappelle les grammaires de mon enfance dont je lisais et relisais les citations d’écrivains servant à l’illustration des règles en rêvant au jour où je pourrais lire leurs livres.
Sur quoi s’appuie-t-il quand il s’agit de montrer l’usage des deux-points pour introduire une suite logique ? Sur les Lettres tombales de Jude Stéfan :
Ils m’offrirent une petite fille, mon rêve : d’emblée elle s’était mise à savourer mon membre ravi, tout en me laissant disposer de ses jeunes fesses ; on l’avait rasée pour la circonstance ainsi que tatouée de motifs animalesques.
J’aime aussi dans ce traité non coercitif, les formules bien trouvées de l’auteur :
Que nous sachions, l’œil ne respire pas.
La virgule permet d’écrire clairement ; elle permet aussi d’écrire obscurément : il faut choisir.
On en dit plus sur soi en plaçant une virgule qu’en racontant son enfance ou ses perversions sexuelles –fussent-elles exquises.
La barre oblique est un signe ambigu, pour ne pas dire sournois, donc précieux.
Nombreux sont les myopes ; ils trébuchent sur les virgules, et le lecteur les voit en pleine lumière, gisant dans la boue du ruisseau.
Jacques Drillon conclut son Traité de la ponctuation française par une « péroraison » qui s’achève ainsi :
Contre l’esthétisme ou l’indifférence, élevons des barrières de technique. Contre l’obscurantisme et la superstition, dressons des autels à la virtuosité. À la gratuité générale opposons la cherté absolue. Soyons exacts jusqu’à la douleur.
Ce pourrait être l’accroche d’un de ces manifestes artistiques ou littéraires du début du vingtième siècle.
*
Que guillemet soit masculin, j’ai du mal à l’accepter.
Celui que Drillon qualifie de « plus attachant des ecclésiastiques mondains » se fait remonter la soutane :
… l’abbé Mugnier, le plus attachant des ecclésiastiques mondains, mais le plus mauvais « ponctueur » qu’il se puisse imaginer, ne mangeait pas tous les jours (grâce au ciel, les princesses ne manquaient pas de pourvoir son assiette de mets nourrissants)… C’est du moins ce qu’il faudrait croire à la lecture de son Journal :
Dîné, hier Faubourg Saint-Honoré, avec la princesse Bibesco. (18.XII.1911)
Dîné hier, chez la princesse Bibesco. (25. XII.1911)
Dîné, hier, chez la princesse Bibesco. (28.I.1912)
Que n’a-t-il, simplement, dîné hier chez la princesse Bibesco ! La virgule le rend affamé…
D’autres écrivains font les frais du mauvais esprit de Jacques Drillon, ainsi François Bon et Françoise Sagan :
François Bon parle d’« une langue qui tient, tient sans ponctuation marquée » (la sienne n’est pas dans ce cas, comme on peut le constater)…
Quant à Françoise Sagan, elle avait exigé qu’on écrivît ainsi le titre d’un de ses romans :
Aimez-vous Brahms..
… sans troisième point, ni point d’interrogation. Mais sa consigne n’a pas été longtemps respectée : son éditeur avait dû la trouver un peu puérile.
Ses ennemis sont les typographes, à qui il reproche des idées arrêtées, ainsi :
Il est interdit par les typographes de mettre un deux-points après un point d’interrogation ou d’exclamation. Il ne faut pas hésiter à passer outre à cette règle mal fondée.
Le livre de Drillon me rappelle les grammaires de mon enfance dont je lisais et relisais les citations d’écrivains servant à l’illustration des règles en rêvant au jour où je pourrais lire leurs livres.
Sur quoi s’appuie-t-il quand il s’agit de montrer l’usage des deux-points pour introduire une suite logique ? Sur les Lettres tombales de Jude Stéfan :
Ils m’offrirent une petite fille, mon rêve : d’emblée elle s’était mise à savourer mon membre ravi, tout en me laissant disposer de ses jeunes fesses ; on l’avait rasée pour la circonstance ainsi que tatouée de motifs animalesques.
J’aime aussi dans ce traité non coercitif, les formules bien trouvées de l’auteur :
Que nous sachions, l’œil ne respire pas.
La virgule permet d’écrire clairement ; elle permet aussi d’écrire obscurément : il faut choisir.
On en dit plus sur soi en plaçant une virgule qu’en racontant son enfance ou ses perversions sexuelles –fussent-elles exquises.
La barre oblique est un signe ambigu, pour ne pas dire sournois, donc précieux.
Nombreux sont les myopes ; ils trébuchent sur les virgules, et le lecteur les voit en pleine lumière, gisant dans la boue du ruisseau.
Jacques Drillon conclut son Traité de la ponctuation française par une « péroraison » qui s’achève ainsi :
Contre l’esthétisme ou l’indifférence, élevons des barrières de technique. Contre l’obscurantisme et la superstition, dressons des autels à la virtuosité. À la gratuité générale opposons la cherté absolue. Soyons exacts jusqu’à la douleur.
Ce pourrait être l’accroche d’un de ces manifestes artistiques ou littéraires du début du vingtième siècle.
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Que guillemet soit masculin, j’ai du mal à l’accepter.