Idée hardie que celle qu’a Françoise Frenkel d’ouvrir en mil neuf cent vingt et un la première librairie française de Berlin. D’autant plus qu’elle est juive. Abandonnant tout au dernier moment (mil neuf cent trente-neuf), elle gagne la France où elle espère trouver la sécurité. Celle-ci envahie, elle tente de fuir en Suisse. Après plusieurs échecs, et échappant de peu à la déportation, elle réussit son coup en mil neuf cent quarante-trois.
Deux ans plus tard, elle raconte son périple sous le titre Rien où poser la tête. Son livre publié à Genève passe inaperçu.
Plusieurs décennies après, un exemplaire est trouvé dans un déballage des compagnons d’Emmaüs à Nice. Grâce à quoi, l'ouvrage est republié par Gallimard dans la collection L’Arbalète en deux mille quinze, augmenté d’une préface de Patrick Modiano et d’un dossier de Frédéric Maria.
Mon exemplaire était à un euro chez Book-Off. Sa lecture m’a fort intéressé. J’ai notamment apprécié l’absence de pathos dans la narration de Françoise Frenkel. Extrait :
Finalement, on pénétrait par fournées de dix à quinze personnes pour comparaître devant une jeune fille assise à une table chargée de classeurs et de monceaux de dossiers. Elle était brune, de taille moyenne. Ses gestes étaient énergiques. Tout en elle respirait une assurance qui contrastait avec l’attitude inquiète des réfugiés.
Elle examinait les papiers, interrogeait d’un ton impératif, parlait par monosyllabes, prenait des notes rapides et ne répondait jamais aux questions anxieuses. Elle regardait le quémandeur du regard sombre d’une Parque, maîtresse du sort d’autrui. Lorsqu’elle trouvait son interlocuteur particulièrement abattu, humilié et inquiet (il y avait parmi eux des vieillards, des malades et tous, d’ailleurs, même les jeunes, étaient plus ou moins désemparés), un sourire ironique se répandait sur son visage.
Les réfugiés l’appelaient « la nazie » et ils la craignaient.
(…)
Un fond de sadisme doit être caché en tout homme pour se dévoiler lorsqu’une occasion s’en présente. Il suffisait qu’on ait donné à ces garçons, somme toute paisibles, le pouvoir abominable de chasser et de traquer des êtres humains sans défense pour qu’ils remplissent cette tâche avec une âpreté singulière et farouche qui ressemblait à de la joie.
*
Nul ne sait ce que devint Françoise Frenkel après mil neuf cent quarante-cinq. Il semble qu’elle ait vécu à Nice. Gallimard a cherché en vain ses ayants droit.
Deux ans plus tard, elle raconte son périple sous le titre Rien où poser la tête. Son livre publié à Genève passe inaperçu.
Plusieurs décennies après, un exemplaire est trouvé dans un déballage des compagnons d’Emmaüs à Nice. Grâce à quoi, l'ouvrage est republié par Gallimard dans la collection L’Arbalète en deux mille quinze, augmenté d’une préface de Patrick Modiano et d’un dossier de Frédéric Maria.
Mon exemplaire était à un euro chez Book-Off. Sa lecture m’a fort intéressé. J’ai notamment apprécié l’absence de pathos dans la narration de Françoise Frenkel. Extrait :
Finalement, on pénétrait par fournées de dix à quinze personnes pour comparaître devant une jeune fille assise à une table chargée de classeurs et de monceaux de dossiers. Elle était brune, de taille moyenne. Ses gestes étaient énergiques. Tout en elle respirait une assurance qui contrastait avec l’attitude inquiète des réfugiés.
Elle examinait les papiers, interrogeait d’un ton impératif, parlait par monosyllabes, prenait des notes rapides et ne répondait jamais aux questions anxieuses. Elle regardait le quémandeur du regard sombre d’une Parque, maîtresse du sort d’autrui. Lorsqu’elle trouvait son interlocuteur particulièrement abattu, humilié et inquiet (il y avait parmi eux des vieillards, des malades et tous, d’ailleurs, même les jeunes, étaient plus ou moins désemparés), un sourire ironique se répandait sur son visage.
Les réfugiés l’appelaient « la nazie » et ils la craignaient.
(…)
Un fond de sadisme doit être caché en tout homme pour se dévoiler lorsqu’une occasion s’en présente. Il suffisait qu’on ait donné à ces garçons, somme toute paisibles, le pouvoir abominable de chasser et de traquer des êtres humains sans défense pour qu’ils remplissent cette tâche avec une âpreté singulière et farouche qui ressemblait à de la joie.
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Nul ne sait ce que devint Françoise Frenkel après mil neuf cent quarante-cinq. Il semble qu’elle ait vécu à Nice. Gallimard a cherché en vain ses ayants droit.