En lisant Lettres à Sartre (volume deux) de Simone de Beauvoir (un)

6 mai 2015


Les Lettres à Sartre de Simone de Beauvoir (Gallimard) groupées dans le volume deux ont été écrites de mil neuf cent quarante à soixante-trois. Beaucoup concernent l’an quarante pendant lequel Sartre fait le militaire attendant l’ennemi puis, quand celui-ci arrive, devient prisonnier de guerre. J’y retrouve la Simone que j’aime, entourée de sa cour de lycéennes et d’étudiantes, et prends suffisamment de notes pour alimenter ce Journal pendant plusieurs mercredis.
J’ai pris un chocolat au « Mahieu » et fait mon cours –il y a deux stagiaires qui sont des déchets d’humanité, à qui j’ai remis deux paquets de copies, c’est toujours ça de pris. (mardi neuf janvier mil neuf cent quarante)
J’ai travaillé près de 2h ½, mangé une choucroute en regardant une N.R.F. que j’avais volée au lycée et où il n’y a rien du tout –et puis lycée où j’ai fait rire mes élèves comme toujours… (lundi quinze janvier mil neuf cent quarante)
… la femme de l’hôtel (m’a arrêtée) pour me dire que l’eau étant arrêtée dans les cabinets, on utilisait le système espagnol des « corbeilles à papier », ce qui m’a rempli l’âme d’horreur. (samedi vingt janvier mil neuf cent quarante)
On est rentrées, on a dîné chez « Pagès » en badinant agréablement sur la meilleure manière de faire connaissance de Ch. Munch, le plaisant chef d’orchestre à tête de drogué qui nous charme fort. (dimanche vingt et un janvier mil neuf cent quarante)
Comme je mettais le pied dehors j’ai entendu une galopade ; c’était Sorokine qui me guettait depuis ¼ d’heure –elle était en détresse parce que depuis deux jours ses parents s’entr’égorgent pour se séparer sans l’emmener ; la mère pleure, le père gueule et cependant attire de temps en temps la fille sur son sein en disant : « ton père est bien seul aussi » et essaie de l’embrasser sur la bouche. (lundi vingt-deux janvier mil neuf cent quarante)
Après ça on est revenues aux étreintes et elle s’est énervée et alanguie jusqu’à ce que je me livre malgré tout sur elle aux dernières violences ; c’est marrant comme elle est devenue calme en un instant, et tout en tendresse gaie et vraiment charmante. (mercredi vingt-quatre janvier mil neuf cent quarante)
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Les expressions de Simone : ça m’a fait plaisant, ça m’a fait poétique, ça m’a fait décevant, ça m’a fait triste, ça me fait morne, ça me fait amer.
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En bas de la page quatre-vingt-dix-neuf de mon exemplaire, un discret tampon de La Radiotechnique Portenseigne Bibliothèque Loisirs rue Carnot à Suresnes. Souvenir de l’usine Portenseigne de Louviers où d’y travailler était prestige assuré pour l’ouvrier.
Que fabriquait-on chez Portenseigne ? Des antennes, je crois.
Variantes lovériennes : travailler chez Philips, travailler chez Wonder. Toutes usines disparues.