En lisant L’Ivrogne et l’Emmerdeur (Lettres à sa femme 1939-1940) de Georges Hyvernaud

26 octobre 2016


J’ai déjà évoqué Georges Hyvernaud plusieurs fois, comment ce professeur d’Ecole Normale, ayant notamment exercé à Rouen, fut embrigadé comme tant d’autres dans l’armée française avec pour mission de défendre son pays contre l’ennemi nazi. Il sera fait prisonnier avant d’avoir l’occasion de se battre. Cette expérience, relatée dans les lettres qu’il envoya à sa femme Andrée, nourrira ses romans La Peau et les Os et Le Wagon à vaches, ouvrages parus dès après la guerre, qui n’eurent aucun succès et l’amenèrent à abandonner l’écriture. Ils sont réédités par Le Dilettante.
Les lettres à Andrée ont paru en mil neuf cent quatre-vingt-onze chez Seghers, huit ans après la mort de leur auteur, dans une édition établie et annotée par sa veuve, sous le titre L’Ivrogne et l’Emmerdeur (surnoms donnés par le lieutenant Hyvernaud à ses commandants successifs).
De la lecture de l’exemplaire acheté à l’un des bouquinistes du Clos Saint-Marc, je retiens ceci :
Cela présente quand même des avantages, les travaux purement physiques ; quand c’est fini, c’est fini, et il ne reste que le plaisir d’avoir fini. Ils ne laissent pas derrière eux cette affreuse traînée de copies à corriger ou de préparations à faire qui se forme derrière nos travaux universitaires. (mardi sept novembre mil neuf cent trente-neuf)
Je n’ai jamais eu, tu le sais, beaucoup de sympathie pour les propagandistes (quelle que soit la nature de leur propagande) qui entrent par effraction dans l’esprit des jeunes. (…)
Au surplus, les victimes  ne m’intéressent pas. Tant pis pour elles si elles ne savent pas se défendre. (…)
Revenons au précieux individualisme, comme le dit et le précise l’auteur peu connu déjà cité, dans un essai sur Stendhal que tu as copié de ta main. (samedi dix novembre mil neuf cent trente-neuf)
Ce matin une mégère venait rouspéter à la compagnie parce qu’un soldat qui couche chez elle l’a menacée de son couteau. (…) non seulement il couche chez la femme, mais il couche avec ses filles, avec les deux ensemble, deux rouquines effroyables dont l’une sort du sana, dont l’autre devrait y être. Des créatures maigres, sales, l’air cochon, sournois et égaré. Tout ce monde-là s’est expliqué en famille. Les filles disaient tout ce qu’on voulait, tout ce qu’elles faisaient avec le type. Elles reprochaient à la mère d’en faire autant. Et comme, dans la même chambre, il y a un frère et deux ou trois autres soldats, l’une des filles expliquait, afin de donner une haute idée de sa pudeur, que ça la gênait de se déshabiller devant tout le monde.(le même jour)
Mon commandant de compagnie est un homme très scrupuleux, très actif, très bien dans l’ensemble. Il a un règlement à la place d’un au moins de ses hémisphères cérébraux –c’est tout ce qu’on peut lui reprocher. (quatorze novembre mil neuf cent trente-neuf)
J’étais bien tranquille, au fond d’une baraque, confortablement assis sur une caisse à outils. J’ai été tiré de ma quiétude par les nécessités de la défense nationale. (dimanche vingt-six novembre mil neuf cent trente-neuf)
Mes notes s’arrêtent là, à la moitié du livre. Peut-être que je n’ai rien trouvé d’exceptionnel ensuite ou alors j’en ai égaré une partie.
Quand même ceci, daté du jeudi vingt-cinq avril mil neuf cent quarante, d’un mari soucieux de tranquilliser son épouse :
Et ta lettre du bombardement de Rouen par la D. C. A. Il ne faut quand même pas te frapper. Dans ton lit, tu es parfaitement en sécurité, tu sais. Il n’est pas indiqué de se balader dans les rues, voilà tout…