« Il y aura un avant programme dans le foyer avec le chœur accentus » me signale le sympathique placeur en chef qui connaît mon habitude d’entrer dans la salle sitôt les portes ouvertes. « Et puis, ajoute-t-il, le deuxième acte commencera aussi dans le foyer ». Je ne me précipite donc pas à l’intérieur et peux ouïr la série d’airs anciens dirigée par Christophe Grapperon avant de gagner ma place surélevée en fond d’orchestre pour Don Giovanni ce dimanche après-midi.
Cette programmation a fait sortir les bourgeois et bourgeoises qui ne fréquentent le lieu que pour les valeurs sûres, lorsqu’il est bon socialement de s’y faire voir (quelques-unes en manteau de fourrure). On peut aussi y voir des politiciens invités : du socialiste et de l’écologiste. Sont également présents des néophytes attirés par le renom de cette œuvre de Wolfgang Amadeus Mozart, dont devant moi une jeune femme dans les trente-cinq ans qui écrit sur son téléphone : « Je suis à l’opéra. C’est la première fois. Je suis heureuse. Bisous. »
Je lis un peu du livret programme. Frédéric Roels, maître des lieux et metteur en scène, y explique sa vision de l’œuvre. En résumé : ce Don Giovanni n’est qu’un fanfaron fuyant, son valet Leporello est amusant mais pitoyable, il y a les femmes heureusement, Donna Anna, Donna Elvira et Zerlina, qui ont bien des qualités. Ce sera donc correctement politique. Heureusement, le texte de Lorenzo Da Ponte empêche que le libertin se repente à l’issue.
Le décor est un peu là, les ateliers ont eu du boulot. Trois immeubles en fausses pierres, de guingois comme les personnages, délimitent une place où pousse un arbre sans feuilles près duquel est installée une cabine téléphonique grise devenue vinetaige, comme l’est le scouteur Vespa sur lequel déboule Masseto, le niaiseux mari de l’espiègle Zerlina. Quand, pour la scène de danse, on voit descendre des cintres une boule à facettes, je me dis in petto « Oh non, pas ça. » En revanche, j’aime l’idée des « mille e tre » stockées sur la carte mémoire d’un appareil photo que donne Leporello à Zerlina pendant qu’il les chante.
Pendant l’entracte, deux spectateurs à coiffure typiquement Bois-Guillaume se plaignent d’être au deuxième balcon « la faute aux abonnés qui raflent toutes les bonnes places ». Quelques musicien(ne)s s’installent discrètement dans un angle du foyer, rejoint(e)s par la maestro Leo Hussain qui le moment venu lance le début du deuxième acte que manquent celles et ceux resté(e)s en salle, et l’on voit sur la coursive du balcon Don Giovanni et Leporello se poursuivre et se disputer avec énergie, le valet l’emportant à la fin d’un bras d’honneur. Pour la suite, on va se rasseoir.
Le duo Don Giovanni Leporello fonctionne fort bien grâce au talent de David Bizic et Jean Teitgen, aussi bons chanteurs que comédiens. Laura Nicorescu est une parfaite Zerlina. Matthew Durkan, qui joue son mari Masetto, est le point faible de la distribution, sa voix porte peu et il est emprunté physiquement mais jouant le rôle d’un benêt, cela peut passer. Le reste de la distribution est à la hauteur : Anna Grevelius (Donna Elvira), Marcel d’Entremont (Don Ottavio) et Brigitte Christensen (Donna Anna), bien que cette dernière n’ait pas le physique du rôle. Le Commandeur, joué par Patrick Bolleire, est vraiment effrayant quand il revient de l’outre monde porteur d’épaisses guenilles et de petites lunettes noires.
Don Giovanni exécuté, les copieux applaudissements durent longtemps en direction des chanteurs et chanteuses, du chœur accentus, de l’Orchestre de l’Opéra et de son chef.
*
Quelle vie riche et turbulente a eu l’abbé Lorenzo Da Ponte, dont je viens de lire les Mémoires publiés au Mercure de France dans la collection Le Temps retrouvé. Né de parents juifs, baptisé par l’évêque dont il portera le nom, il devra fuir Venise pour s’être mal conduit avec les dames, rencontrera Mozart à Vienne, composera pour lui le livret de ses trois chefs-d’œuvre, rejoindra Prague à la mort de l’Empereur où il croisera Casanova déjà connu de lui à Venise, s’installera à Londres d’où il sera chassé pour dettes, émigrera en Amérique à l’âge de cinquante-six ans avec sa femme Nancy Grahl (ils auront cinq enfants), s’essaiera au commerce du tabac, de l'épicerie et de la librairie avant de devenir professeur de langue et de littérature italiennes au Columbia College de New York
Las, il ne sait pas raconter. Dans ses Mémoires, écrits à l’âge de quatre-vingt-un ans, il se perd dans les généralités et les digressions.
Il mourra à New York à quatre-vingt-neuf ans le dix-sept août mil huit cent trente-huit.
Cette programmation a fait sortir les bourgeois et bourgeoises qui ne fréquentent le lieu que pour les valeurs sûres, lorsqu’il est bon socialement de s’y faire voir (quelques-unes en manteau de fourrure). On peut aussi y voir des politiciens invités : du socialiste et de l’écologiste. Sont également présents des néophytes attirés par le renom de cette œuvre de Wolfgang Amadeus Mozart, dont devant moi une jeune femme dans les trente-cinq ans qui écrit sur son téléphone : « Je suis à l’opéra. C’est la première fois. Je suis heureuse. Bisous. »
Je lis un peu du livret programme. Frédéric Roels, maître des lieux et metteur en scène, y explique sa vision de l’œuvre. En résumé : ce Don Giovanni n’est qu’un fanfaron fuyant, son valet Leporello est amusant mais pitoyable, il y a les femmes heureusement, Donna Anna, Donna Elvira et Zerlina, qui ont bien des qualités. Ce sera donc correctement politique. Heureusement, le texte de Lorenzo Da Ponte empêche que le libertin se repente à l’issue.
Le décor est un peu là, les ateliers ont eu du boulot. Trois immeubles en fausses pierres, de guingois comme les personnages, délimitent une place où pousse un arbre sans feuilles près duquel est installée une cabine téléphonique grise devenue vinetaige, comme l’est le scouteur Vespa sur lequel déboule Masseto, le niaiseux mari de l’espiègle Zerlina. Quand, pour la scène de danse, on voit descendre des cintres une boule à facettes, je me dis in petto « Oh non, pas ça. » En revanche, j’aime l’idée des « mille e tre » stockées sur la carte mémoire d’un appareil photo que donne Leporello à Zerlina pendant qu’il les chante.
Pendant l’entracte, deux spectateurs à coiffure typiquement Bois-Guillaume se plaignent d’être au deuxième balcon « la faute aux abonnés qui raflent toutes les bonnes places ». Quelques musicien(ne)s s’installent discrètement dans un angle du foyer, rejoint(e)s par la maestro Leo Hussain qui le moment venu lance le début du deuxième acte que manquent celles et ceux resté(e)s en salle, et l’on voit sur la coursive du balcon Don Giovanni et Leporello se poursuivre et se disputer avec énergie, le valet l’emportant à la fin d’un bras d’honneur. Pour la suite, on va se rasseoir.
Le duo Don Giovanni Leporello fonctionne fort bien grâce au talent de David Bizic et Jean Teitgen, aussi bons chanteurs que comédiens. Laura Nicorescu est une parfaite Zerlina. Matthew Durkan, qui joue son mari Masetto, est le point faible de la distribution, sa voix porte peu et il est emprunté physiquement mais jouant le rôle d’un benêt, cela peut passer. Le reste de la distribution est à la hauteur : Anna Grevelius (Donna Elvira), Marcel d’Entremont (Don Ottavio) et Brigitte Christensen (Donna Anna), bien que cette dernière n’ait pas le physique du rôle. Le Commandeur, joué par Patrick Bolleire, est vraiment effrayant quand il revient de l’outre monde porteur d’épaisses guenilles et de petites lunettes noires.
Don Giovanni exécuté, les copieux applaudissements durent longtemps en direction des chanteurs et chanteuses, du chœur accentus, de l’Orchestre de l’Opéra et de son chef.
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Quelle vie riche et turbulente a eu l’abbé Lorenzo Da Ponte, dont je viens de lire les Mémoires publiés au Mercure de France dans la collection Le Temps retrouvé. Né de parents juifs, baptisé par l’évêque dont il portera le nom, il devra fuir Venise pour s’être mal conduit avec les dames, rencontrera Mozart à Vienne, composera pour lui le livret de ses trois chefs-d’œuvre, rejoindra Prague à la mort de l’Empereur où il croisera Casanova déjà connu de lui à Venise, s’installera à Londres d’où il sera chassé pour dettes, émigrera en Amérique à l’âge de cinquante-six ans avec sa femme Nancy Grahl (ils auront cinq enfants), s’essaiera au commerce du tabac, de l'épicerie et de la librairie avant de devenir professeur de langue et de littérature italiennes au Columbia College de New York
Las, il ne sait pas raconter. Dans ses Mémoires, écrits à l’âge de quatre-vingt-un ans, il se perd dans les généralités et les digressions.
Il mourra à New York à quatre-vingt-neuf ans le dix-sept août mil huit cent trente-huit.