Petit livre de couleur bleue, trouvé chez Book-Off à un euro, L’Ironie du sort de Daniel da Silva, écrivain dont j’ignorais l’existence vivant à Marseille, est l’un de mes grands plaisirs de lecture de l’été deux mille dix-sept. Comme extrait, celui qui m’a fait découvrir la trombe de Montville :
Le Grand Incendie de Chicago est alors dans toutes les mémoires, notamment à Chicago même ; ce n’est pas le cas partout, loin de là ; par exemple à Montville, près de Rouen, les plus âgés des Hauts-Normands se rappellent plutôt que trente-quatre ans plus tôt, à midi trente-cinq, le 19 août 1845 (à dix jours près un siècle avant Nagasaki, qui fut détruite à onze heures deux), une trombe ou tornade, on disait couramment une trombe, la trombe de Montville, presque avec la fierté qu’on a dans les provinces pour une spécialité, une trombe rougeâtre veinée d’éclairs et puant le soufre (l’odeur persista quelques jours) avait zigzagué à travers une forêt, dans un terrible arrachement d’arbres qui avaient pirouetté parfois jusqu’à trente kilomètres de là, pour s’abattre sur une filature de coton, pulvériser trois ateliers et tuer du même coup deux centaines d’ouvriers (et d’ouvrières), attirée par aimantation par le fer des machines, précisait-on scientifiquement ; se racontent-ils encore, ce soir-là, à la veillée, les pieds sur les chenets, y a-t-il quelqu’un pour se remémorer l’histoire édifiante de M. Neveu, propriétaire d’une de ses fabriques vaporisées, lequel saturé de dévotion filiale avait formé une sorte de voûte vivante au-dessus de Mme Neveu recroquevillée et était resté trois heures dans cette position, des débris formidables pesant sur le dos héroïque, avant de déclarer une fois désencastré et remis de sa tétanie : Je suis ruiné mais je ne m’en plains pas, j’ai eu le bonheur de sauver ma mère !? Le jeune Flaubert, vingt-cinq printemps, un an après la tragédie, pouvait écrire à Louise Colet : J’en ai entendu causer, discuter et baver tout un hiver, j’en suis saoul, mais à Montville ou dans les environs en fait-on encore des choux gras, en 1879, de cette trombe-là, craint-on encore tant que ça son retour lorsque sonne l’heure de son anniversaire ? Alors qu’à Chicago c’est certain ; on s’en souvient, de l’incendie de Chicago, deux cent vingt millions de dollars de perte, ne serait-ce que Stevenson affalé sur une banquette etc etc.
L’ironie du sort, publié aux Editions de l’Arbre Vengeur en deux mille quatorze, est une fiction distanciée et ironique bâtie avec le réel en un enchaînement ininterrompu de coïncidences ou de correspondances entre des faits, des dates et des personnages : acteurs, artistes, assassins, écrivains et autres. C’est un livre que je ne vais pas revendre. Je pourrais avoir envie de le relire.
*
Mathieu Lindon a évoqué L’Ironie du sort dans sa chronique de Libération le dix-neuf février deux mille quatorze :
« Le texte commence sur un fait divers de 1924 qui a justement inspiré Alfred Hitchcock pour la Corde, ce huis clos qui est «à la fois exercice de virtuosité et métaphore de la causalité», comme le roman lui-même. Par le fait de coïncidences de lieux, de dates ou de rencontres, des flopées de personnages célèbres interviennent alors, Erik Satie et Maurice Maeterlinck, Pierre Boulez et Maurice Pialat, «Mishima Yukio et Deleuze Gilles», Philip K. Dick et Al Capone, Benjamin Constant et John Cage, Léon Bloy et Morton Feldman, Julio Cortázar et Jean-Marie Mathias Philippe Auguste, comte de Villiers de l’Isle-Adam, sans oublier Robert Louis Stevenson ni Edouard Molinaro qui adapte au cinéma en 1974 «l’Ironie du sort, un roman à options multiples paru en 1961 sous la signature d’un certain Paul Guimard (plus connu pour avoir écrit les Choses de la vie) et qui repose sur le fameux grain de sable qui fait basculer les destins, le cheveu à quoi tout tient». »
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La trombe de Montville, l’une des deux seules tornades françaises de force cinq (vents estimés supérieurs à trois cent vingt kilomètres heure), est largement évoquée sur le site de Keraunos, l’Observatoire français des tornades et orages violents.
Celui-ci indique « des milliers d'arbres de toutes sortes et de toutes tailles déracinés, arrachés, dépouillés ; un arbre gigantesque emmené dans les airs à plus de 40 mètres de hauteur et emporté très loin ; maisons écroulées ou détruites ; trois filatures, solidement bâties, anéanties ; débris de toute sorte retrouvés à 30 kilomètres de Montville » et donne pour bilan humain : soixante-quinze morts.
Les deux cents recensés par Didier da Silva sont-ils à mettre sur le compte de l’exagération marseillaise ?
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Des Hauts-Normands au dix-neuvième siècle, Didier da Silva y va fort.
Le Grand Incendie de Chicago est alors dans toutes les mémoires, notamment à Chicago même ; ce n’est pas le cas partout, loin de là ; par exemple à Montville, près de Rouen, les plus âgés des Hauts-Normands se rappellent plutôt que trente-quatre ans plus tôt, à midi trente-cinq, le 19 août 1845 (à dix jours près un siècle avant Nagasaki, qui fut détruite à onze heures deux), une trombe ou tornade, on disait couramment une trombe, la trombe de Montville, presque avec la fierté qu’on a dans les provinces pour une spécialité, une trombe rougeâtre veinée d’éclairs et puant le soufre (l’odeur persista quelques jours) avait zigzagué à travers une forêt, dans un terrible arrachement d’arbres qui avaient pirouetté parfois jusqu’à trente kilomètres de là, pour s’abattre sur une filature de coton, pulvériser trois ateliers et tuer du même coup deux centaines d’ouvriers (et d’ouvrières), attirée par aimantation par le fer des machines, précisait-on scientifiquement ; se racontent-ils encore, ce soir-là, à la veillée, les pieds sur les chenets, y a-t-il quelqu’un pour se remémorer l’histoire édifiante de M. Neveu, propriétaire d’une de ses fabriques vaporisées, lequel saturé de dévotion filiale avait formé une sorte de voûte vivante au-dessus de Mme Neveu recroquevillée et était resté trois heures dans cette position, des débris formidables pesant sur le dos héroïque, avant de déclarer une fois désencastré et remis de sa tétanie : Je suis ruiné mais je ne m’en plains pas, j’ai eu le bonheur de sauver ma mère !? Le jeune Flaubert, vingt-cinq printemps, un an après la tragédie, pouvait écrire à Louise Colet : J’en ai entendu causer, discuter et baver tout un hiver, j’en suis saoul, mais à Montville ou dans les environs en fait-on encore des choux gras, en 1879, de cette trombe-là, craint-on encore tant que ça son retour lorsque sonne l’heure de son anniversaire ? Alors qu’à Chicago c’est certain ; on s’en souvient, de l’incendie de Chicago, deux cent vingt millions de dollars de perte, ne serait-ce que Stevenson affalé sur une banquette etc etc.
L’ironie du sort, publié aux Editions de l’Arbre Vengeur en deux mille quatorze, est une fiction distanciée et ironique bâtie avec le réel en un enchaînement ininterrompu de coïncidences ou de correspondances entre des faits, des dates et des personnages : acteurs, artistes, assassins, écrivains et autres. C’est un livre que je ne vais pas revendre. Je pourrais avoir envie de le relire.
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Mathieu Lindon a évoqué L’Ironie du sort dans sa chronique de Libération le dix-neuf février deux mille quatorze :
« Le texte commence sur un fait divers de 1924 qui a justement inspiré Alfred Hitchcock pour la Corde, ce huis clos qui est «à la fois exercice de virtuosité et métaphore de la causalité», comme le roman lui-même. Par le fait de coïncidences de lieux, de dates ou de rencontres, des flopées de personnages célèbres interviennent alors, Erik Satie et Maurice Maeterlinck, Pierre Boulez et Maurice Pialat, «Mishima Yukio et Deleuze Gilles», Philip K. Dick et Al Capone, Benjamin Constant et John Cage, Léon Bloy et Morton Feldman, Julio Cortázar et Jean-Marie Mathias Philippe Auguste, comte de Villiers de l’Isle-Adam, sans oublier Robert Louis Stevenson ni Edouard Molinaro qui adapte au cinéma en 1974 «l’Ironie du sort, un roman à options multiples paru en 1961 sous la signature d’un certain Paul Guimard (plus connu pour avoir écrit les Choses de la vie) et qui repose sur le fameux grain de sable qui fait basculer les destins, le cheveu à quoi tout tient». »
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La trombe de Montville, l’une des deux seules tornades françaises de force cinq (vents estimés supérieurs à trois cent vingt kilomètres heure), est largement évoquée sur le site de Keraunos, l’Observatoire français des tornades et orages violents.
Celui-ci indique « des milliers d'arbres de toutes sortes et de toutes tailles déracinés, arrachés, dépouillés ; un arbre gigantesque emmené dans les airs à plus de 40 mètres de hauteur et emporté très loin ; maisons écroulées ou détruites ; trois filatures, solidement bâties, anéanties ; débris de toute sorte retrouvés à 30 kilomètres de Montville » et donne pour bilan humain : soixante-quinze morts.
Les deux cents recensés par Didier da Silva sont-ils à mettre sur le compte de l’exagération marseillaise ?
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Des Hauts-Normands au dix-neuvième siècle, Didier da Silva y va fort.