Le beau temps promis pour ce vendredi, je me rends sitôt après le petit-déjeuner à la gare routière de Cherbourg, bâtiment décati, afin de prendre le car Manéo Express qui conduit à Barfleur, joli port bleu d’eau de Javel, comme si un peuple de blanchisseuses venaient d’y laver leur linge écrivait Jules Renard, qui y venait régulièrement, dans son Journal en mil huit cent quatre-vingt-dix.
L’autocar arrive un peu avant sept heures quarante. J’y monte, donne deux euros trente à sa conductrice. Lorsqu’elle démarre je suis le seul passager. Le soleil se lève, grosse boule rouge à l’horizon. Il fait disparaître les derniers nuages. Nous passons par Saint-Pierre-Eglise, gros bourg à rues étroites et à église romane (l’abbé de Saint-Pierre fut un précurseur des Lumières, auteur de Projet de paix perpétuelle pour l’Europe, favorable au mariage des prêtres et défenseur des femmes « on ne peut se passer de la moitié de l’humanité »), puis par Tocqueville, le village d’Alexis bien que né à Paris ( sur la place du village, le buste de l’écrivain devant lequel s’arrête le car). J’y suis toujours seul et il en sera ainsi jusqu'à Barfleur où la conductrice me dépose à huit heures vingt-cinq (j’aurai coûté cher au Conseil Départemental de la Manche).
Descendant la rue Thomas-Becket qui mène au port, je risque un sourire à une jolie fille croisée. Elle me dit bonjour. Ce n’est pas le début d’une belle histoire mais une illustration des mœurs locales. Après avoir fait le tour du premier port moulier de France jusqu’au bout de la digue face à l’église, puis avoir revu l’intérieur de celle-ci (belle piéta du seizième siècle et Visitation de Maertens de Vos), je prends un café au Café de France, qui fait aussi brasserie, juste à côté de la chambre d’hôtes Les Transats où j’ai nuité autrefois. « Un euro vingt, mon cher monsieur », me dit le sympathique serveur qui est d’origine tunisienne.
On y écoute France Bleu Cotentin, une émission qui permet aux auditeurs d’appeler pour faire estimer leurs objets qu’ils jugent précieux par un commissaire-priseur. Roland, de Querqueville, voudrait savoir ce que vaut sa collection de Tout l’Univers :
-Je vais être franc avec vous, Roland, rien du tout.
Une longue limousine blanche à vitres noires se gare sur la place, faisant converger les regards et sortir certains appareils photos. Le chauffeur en descend, ouvre la portière à un jeune homme à lunettes noires suivi de ceux qui sont peut-être ses parents, difformes et mal habillés, me faisant songer aux habitants de Plouk Town. Cette limousine est immatriculée en Val-de-Marne. Son contenu déçoit. Seule la voiture est photographiée.
C’est dans la seule autre brasserie ouverte, La Marée, un lieu attrape-touristes mais pas arnaqueur, que je déjeune de six huîtres numéro trois et de moules marinières avec frites. On y écoute Reggiani, Barbara, Aznavour, ce qui contribue à me rendre nostalgique de mes venues ici quand j’étais bien accompagné. Avec le quart de chardonay et le café, cela va chercher dans les vingt-six euros.
Le car de retour n’étant qu’à dix-huit heures dix, je peux envisager une bonne balade de bord de mer. Partant de l’église, je prends hardiment la direction du haut phare de Gatteville dans lequel Beinex tourna une scène de Diva. Je découvre en chemin un moulin à vent puis une croix « A la mémoire de M. l’Abbé Henri Gaslande, curé de Barfleur, victime du devoir, 11/7/1944 ».
Au bout de cinquante minutes et de trois kilomètres huit cents, sans avoir croisé quiconque, n’y trouver qui que ce soit à l’arrivée, je peux m’asseoir au pied de ce phallus géant dressé vers le ciel derrière lequel se cache un sémaphore peuplé de militaires. Il ne me vient pas l’envie d’y grimper.
Barfleur semble vraiment loin, perdue dans les brumes, quand j’entreprends le chemin inverse, croisant cette fois quelques marcheurs dont deux couples à bâtons.
Les pieds cuits, je bois un café verre d’eau à la terrasse du France où certains finissent de manger, dont une dame pas contente qui fait des remontrances à la cuisinière.
-Je préfère ça, commente celle-ci après l’esclandre, à ceux qui disent que tout va bien et ensuite écrivent des horreurs sur Internet.
Le soir venu, alors que c’est marée basse, port vidé et bateaux couchés dans la vase, j’attends impatiemment le car devant la Mairie. Dès dix-huit heures, je peux me réchauffer à l’intérieur après avoir donné mes deux euros trente à une autre conductrice, croyant un moment que je serai encore le seul voyageur mais au dernier moment montent trois habitués.
*
Curieuse expression « victime du devoir ». Henri Gaslande, curé de Barfleur, en quarante-quatre a dû être victime des nazis ou des collabos.
L’autocar arrive un peu avant sept heures quarante. J’y monte, donne deux euros trente à sa conductrice. Lorsqu’elle démarre je suis le seul passager. Le soleil se lève, grosse boule rouge à l’horizon. Il fait disparaître les derniers nuages. Nous passons par Saint-Pierre-Eglise, gros bourg à rues étroites et à église romane (l’abbé de Saint-Pierre fut un précurseur des Lumières, auteur de Projet de paix perpétuelle pour l’Europe, favorable au mariage des prêtres et défenseur des femmes « on ne peut se passer de la moitié de l’humanité »), puis par Tocqueville, le village d’Alexis bien que né à Paris ( sur la place du village, le buste de l’écrivain devant lequel s’arrête le car). J’y suis toujours seul et il en sera ainsi jusqu'à Barfleur où la conductrice me dépose à huit heures vingt-cinq (j’aurai coûté cher au Conseil Départemental de la Manche).
Descendant la rue Thomas-Becket qui mène au port, je risque un sourire à une jolie fille croisée. Elle me dit bonjour. Ce n’est pas le début d’une belle histoire mais une illustration des mœurs locales. Après avoir fait le tour du premier port moulier de France jusqu’au bout de la digue face à l’église, puis avoir revu l’intérieur de celle-ci (belle piéta du seizième siècle et Visitation de Maertens de Vos), je prends un café au Café de France, qui fait aussi brasserie, juste à côté de la chambre d’hôtes Les Transats où j’ai nuité autrefois. « Un euro vingt, mon cher monsieur », me dit le sympathique serveur qui est d’origine tunisienne.
On y écoute France Bleu Cotentin, une émission qui permet aux auditeurs d’appeler pour faire estimer leurs objets qu’ils jugent précieux par un commissaire-priseur. Roland, de Querqueville, voudrait savoir ce que vaut sa collection de Tout l’Univers :
-Je vais être franc avec vous, Roland, rien du tout.
Une longue limousine blanche à vitres noires se gare sur la place, faisant converger les regards et sortir certains appareils photos. Le chauffeur en descend, ouvre la portière à un jeune homme à lunettes noires suivi de ceux qui sont peut-être ses parents, difformes et mal habillés, me faisant songer aux habitants de Plouk Town. Cette limousine est immatriculée en Val-de-Marne. Son contenu déçoit. Seule la voiture est photographiée.
C’est dans la seule autre brasserie ouverte, La Marée, un lieu attrape-touristes mais pas arnaqueur, que je déjeune de six huîtres numéro trois et de moules marinières avec frites. On y écoute Reggiani, Barbara, Aznavour, ce qui contribue à me rendre nostalgique de mes venues ici quand j’étais bien accompagné. Avec le quart de chardonay et le café, cela va chercher dans les vingt-six euros.
Le car de retour n’étant qu’à dix-huit heures dix, je peux envisager une bonne balade de bord de mer. Partant de l’église, je prends hardiment la direction du haut phare de Gatteville dans lequel Beinex tourna une scène de Diva. Je découvre en chemin un moulin à vent puis une croix « A la mémoire de M. l’Abbé Henri Gaslande, curé de Barfleur, victime du devoir, 11/7/1944 ».
Au bout de cinquante minutes et de trois kilomètres huit cents, sans avoir croisé quiconque, n’y trouver qui que ce soit à l’arrivée, je peux m’asseoir au pied de ce phallus géant dressé vers le ciel derrière lequel se cache un sémaphore peuplé de militaires. Il ne me vient pas l’envie d’y grimper.
Barfleur semble vraiment loin, perdue dans les brumes, quand j’entreprends le chemin inverse, croisant cette fois quelques marcheurs dont deux couples à bâtons.
Les pieds cuits, je bois un café verre d’eau à la terrasse du France où certains finissent de manger, dont une dame pas contente qui fait des remontrances à la cuisinière.
-Je préfère ça, commente celle-ci après l’esclandre, à ceux qui disent que tout va bien et ensuite écrivent des horreurs sur Internet.
Le soir venu, alors que c’est marée basse, port vidé et bateaux couchés dans la vase, j’attends impatiemment le car devant la Mairie. Dès dix-huit heures, je peux me réchauffer à l’intérieur après avoir donné mes deux euros trente à une autre conductrice, croyant un moment que je serai encore le seul voyageur mais au dernier moment montent trois habitués.
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Curieuse expression « victime du devoir ». Henri Gaslande, curé de Barfleur, en quarante-quatre a dû être victime des nazis ou des collabos.