La pire journée de la confinerie, ce mardi, s’agissant du temps, une pluie incessante qui conduit à se féliciter de ne pouvoir rien faire en ville où, j’imagine, des commerçants se creusent la cervelle pour savoir comment rouvrir la boutique en suivant les instructions des médecins qui nous gouvernent.
Je ne serai pas de ceux qui feront redémarrer le commerce, quoique racheter une voiture pourrait être une bonne idée, vu le mode dégradé selon lequel vont recirculer les trains, qui seront quand même des lieux de danger.
Avant-guerre, mes sorties dans cette ville, c’était le plus souvent aller lire ou écrire dans des estaminets où je restais une heure ou deux sans consommer autre chose qu’un café. Quand ils rouvriront en mode dégradé, une table sur deux, je n’y serai plus le bienvenu. A peine le café bu, ma table sera lorgnée par des quidams en file indienne, à un mètre l’un de l’autre, masqués de préférence, et le patron aura envie que je la libère.
Ce qui faisait l’intérêt de ma vie finissante est annihilé et le restera après le déconfinement, plus de cafés où l’on peut traîner, plus de restaurants à buffet, plus de trains avec lesquels voyager en liberté, plus de bouquineries où s’attarder sans risque (chez Book-Off les allées font un mètre de largeur). Tous ces lieux sont ou vont être transformés en annexe d’hôpital, sans pour autant être sûrs. Autant aller boire, manger, lire ou écrire à la cafétéria du Céhachu.
Ma seule sortie de la journée, cinq pas jusqu’à la boîte à lettres où je trouve les masques envoyés de Paris il y a une semaine par celle pour qui je m’inquiète, tant elle accumule les ennuis.
*
Il faudra encore attendre pour que reviennent dans l’hypercentre de Rouen les familles de l’Eure et du Pays de Caux, dont les membres, le samedi vers seize heures, entraient dans les cafés pour sitôt la commande passée se succéder aux toilettes. Pas de cafés ouverts, pas de toilettes. Pas de toilettes, pas de clients dans les boutiques.
*
Après une compilation des premières chansons de Leny Escudero sur laquelle figure une photo de lui avec des cheveux courts, j’attaque la lettre Effe de ma cédéthèque francophone par Mylène Farmer qu’un jour je vis (ou crus voir) surgissant d’une voiture juste devant moi puis se jetant dans un immeuble situé un peu plus haut que le Jardin du Luxembourg, d’abord Cendres de lune puis Ainsi soit je… puis L’autre… puis Anamorphosée puis un double cédé en concert.
Cette réécoute me rappelle une des années où je faisais l’instituteur dans la Grande Section de l’Ecole Maternelle du Pivollet, passage des Turbulents, à Val-de-Reuil. Pendant la récréation, les petites filles, sans y comprendre goutte, chantaient Je je suis libertine je suis une catin tandis qu’un garçon, victime d’un défaut de prononciation, au lieu de « Tu vas au but » disait à ses copains « Tu vas aux putes ».
*
C’est le vingt-quatre février mil sept cent soixante-sept que dans son Journal Samuel Pepys évoque pour la deuxième fois la ville de Rouen :
Je m’enquis de ce Français qui, dit-on, mit le feu à la Cité et qui fut pendu pour cela. Selon ses propres aveux, il avait été engagé par un Français de Rouen, avait lancé, à l’aide d’un bâton, une grenade dans la fenêtre d’une maison, bien que le maître de cette maison, le boulanger du roi, son fils et sa fille, jurent que cette fenêtre n’existait pas, et que l’incendie n’a pas commencé en cet endroit. Cependant, ce personnage, qui, bien que niais et d’humeur mélancolique, ne parlait pas comme un fou, jura qu’il avait bien mis le feu.
Une note de bas de page établit les faits. Robert Hubert, horloger à Londres et natif de Rouen, avait été jugé en septembre mil six cent soixante-six et exécuté le vingt-sept octobre suivant. La seule preuve contre lui était ses aveux. Il ne possédait pas toutes ses facultés mentales et avait débarqué à Londres deux jours après le début du Grand Incendie.
Je ne serai pas de ceux qui feront redémarrer le commerce, quoique racheter une voiture pourrait être une bonne idée, vu le mode dégradé selon lequel vont recirculer les trains, qui seront quand même des lieux de danger.
Avant-guerre, mes sorties dans cette ville, c’était le plus souvent aller lire ou écrire dans des estaminets où je restais une heure ou deux sans consommer autre chose qu’un café. Quand ils rouvriront en mode dégradé, une table sur deux, je n’y serai plus le bienvenu. A peine le café bu, ma table sera lorgnée par des quidams en file indienne, à un mètre l’un de l’autre, masqués de préférence, et le patron aura envie que je la libère.
Ce qui faisait l’intérêt de ma vie finissante est annihilé et le restera après le déconfinement, plus de cafés où l’on peut traîner, plus de restaurants à buffet, plus de trains avec lesquels voyager en liberté, plus de bouquineries où s’attarder sans risque (chez Book-Off les allées font un mètre de largeur). Tous ces lieux sont ou vont être transformés en annexe d’hôpital, sans pour autant être sûrs. Autant aller boire, manger, lire ou écrire à la cafétéria du Céhachu.
Ma seule sortie de la journée, cinq pas jusqu’à la boîte à lettres où je trouve les masques envoyés de Paris il y a une semaine par celle pour qui je m’inquiète, tant elle accumule les ennuis.
*
Il faudra encore attendre pour que reviennent dans l’hypercentre de Rouen les familles de l’Eure et du Pays de Caux, dont les membres, le samedi vers seize heures, entraient dans les cafés pour sitôt la commande passée se succéder aux toilettes. Pas de cafés ouverts, pas de toilettes. Pas de toilettes, pas de clients dans les boutiques.
*
Après une compilation des premières chansons de Leny Escudero sur laquelle figure une photo de lui avec des cheveux courts, j’attaque la lettre Effe de ma cédéthèque francophone par Mylène Farmer qu’un jour je vis (ou crus voir) surgissant d’une voiture juste devant moi puis se jetant dans un immeuble situé un peu plus haut que le Jardin du Luxembourg, d’abord Cendres de lune puis Ainsi soit je… puis L’autre… puis Anamorphosée puis un double cédé en concert.
Cette réécoute me rappelle une des années où je faisais l’instituteur dans la Grande Section de l’Ecole Maternelle du Pivollet, passage des Turbulents, à Val-de-Reuil. Pendant la récréation, les petites filles, sans y comprendre goutte, chantaient Je je suis libertine je suis une catin tandis qu’un garçon, victime d’un défaut de prononciation, au lieu de « Tu vas au but » disait à ses copains « Tu vas aux putes ».
*
C’est le vingt-quatre février mil sept cent soixante-sept que dans son Journal Samuel Pepys évoque pour la deuxième fois la ville de Rouen :
Je m’enquis de ce Français qui, dit-on, mit le feu à la Cité et qui fut pendu pour cela. Selon ses propres aveux, il avait été engagé par un Français de Rouen, avait lancé, à l’aide d’un bâton, une grenade dans la fenêtre d’une maison, bien que le maître de cette maison, le boulanger du roi, son fils et sa fille, jurent que cette fenêtre n’existait pas, et que l’incendie n’a pas commencé en cet endroit. Cependant, ce personnage, qui, bien que niais et d’humeur mélancolique, ne parlait pas comme un fou, jura qu’il avait bien mis le feu.
Une note de bas de page établit les faits. Robert Hubert, horloger à Londres et natif de Rouen, avait été jugé en septembre mil six cent soixante-six et exécuté le vingt-sept octobre suivant. La seule preuve contre lui était ses aveux. Il ne possédait pas toutes ses facultés mentales et avait débarqué à Londres deux jours après le début du Grand Incendie.