Gul de Boa et Philippe Davenet donnent concert gratuit les lundis d’août en des lieux différents dont l’aître Saint-Maclou proche de chez moi mais c’est ailleurs que je choisis d’aller les voir et écouter, préférant l’exceptionnel. Ce lundi soir, de l’île Lacroix où je retrouve ma voiture, j’aperçois l’objectif: le monument à la gloire de la Jeanne accroché sur la colline devant la kitchissime basilique Notre-Dame de Bonsecours.
De Gul de Boa, j’ai un lointain et bon souvenir, l’ayant découvert avant le début de ce Journal lors d’une présentation de saison au Théâtre des Deux Rives. Quant à Philippe Davenet, j’ai pu apprécier son talent de pianiste au même endroit une autre année.
L’heure du rendez-vous est précise : vingt et une heures sept afin qu’après un quart d’heure de déambulation le public soit en place à l’heure précise du coucher de soleil mais évidemment je suis en avance. Je choisis de ne pas déambuler derrière Gul et sa guitare, préférant dès à présent bénéficier du panorama sur la ville, côté jardin : les fumées industrielles, côté cour : les tours de Canteleu, entre les deux : Rouen, son fleuve parcouru par les péniches, son pont métallique où passent bruyamment les trains, ses monuments divers, et en fond de scène : le ciel avec la boule rouge qui descend.
Philippe Davenet, homme à casquette et lunettes rouges, est en place au piano, attendant l’arrivée de son complice et de sa suite. Il remarque que l’un des quatre moutons de pierre (ce soir munis de couvre-chefs ou de lunettes) est descellé et menace de basculer. « Je ne jouerai pas trop fort », promet-il. Je songe au dimanche matin où nous avions réussi, celle qui me tenait la main et moi, à franchir les barrières qui empêchent ordinairement l’accès de ce lieu. Elle avait grimpé sur le dos d’un des moutons. Je l’avais photographiée au-dessus du vide. À cette époque, je l’appelais Petite Folle et ce n’était pas pour rien.
Tandis que s’installe le monde sur les quelques chaises, sur les marches de pierre ou par terre, Gul de Boa, dont le physique d’Indien des villes est approprié à la situation, surveille le ciel et sa montre, cependant que Philippe Davenet improvise jusqu’à l’exact coucher du soleil. Le concert peut commencer. Gul salue les statues qui nous entourent : Sainte Marguerite, Sainte Catherine, l'Archange Saint Michel et la Pucelle « avec son armure ras la foune ».
Dès la première chanson, je le retrouve comme dans mon souvenir, quelque part du côté de Ferré et Thiéfaine, mais avec un univers bien à lui. Ses textes d’une gaîté sans espoir sont savamment écrits et interprétés. Son pianiste d’été les met en valeur. Bref, cela me plaît tout à fait : « Si tu es d’accord, t’es mort » « Et si tu n’es pas d’accord, t’es mort aussi ». Le ciel s’obscurcit doucement, l’éclairagiste étant à la hauteur. L’accessoiriste aussi, qui fait passer un hélicoptère au-dessus de nos têtes entre deux chansons.
Parmi ses compositions Gul glisse une bonne reprise de La vente aux enchères de Gilbert Bécaud et, de temps à autre, il évoque le lieu d’exception où nous sommes, l’histoire de sa construction, le funiculaire qui y menait, la canonisation tardive de la Jeanne. Philippe Davenet se contente d’une précision historique d’importance : « Jeanne d’Arc s’est éteinte deux heures après sa mort. »
La dernière chanson raconte que « Le temps qui nous reste est un beau salaud ». Je le savais déjà.
*
Gul de Boa, l’exemple même de l’artiste qui serait connu nationalement si dans le domaine de la chanson le temps était encore à la reconnaissance du talent.
De Gul de Boa, j’ai un lointain et bon souvenir, l’ayant découvert avant le début de ce Journal lors d’une présentation de saison au Théâtre des Deux Rives. Quant à Philippe Davenet, j’ai pu apprécier son talent de pianiste au même endroit une autre année.
L’heure du rendez-vous est précise : vingt et une heures sept afin qu’après un quart d’heure de déambulation le public soit en place à l’heure précise du coucher de soleil mais évidemment je suis en avance. Je choisis de ne pas déambuler derrière Gul et sa guitare, préférant dès à présent bénéficier du panorama sur la ville, côté jardin : les fumées industrielles, côté cour : les tours de Canteleu, entre les deux : Rouen, son fleuve parcouru par les péniches, son pont métallique où passent bruyamment les trains, ses monuments divers, et en fond de scène : le ciel avec la boule rouge qui descend.
Philippe Davenet, homme à casquette et lunettes rouges, est en place au piano, attendant l’arrivée de son complice et de sa suite. Il remarque que l’un des quatre moutons de pierre (ce soir munis de couvre-chefs ou de lunettes) est descellé et menace de basculer. « Je ne jouerai pas trop fort », promet-il. Je songe au dimanche matin où nous avions réussi, celle qui me tenait la main et moi, à franchir les barrières qui empêchent ordinairement l’accès de ce lieu. Elle avait grimpé sur le dos d’un des moutons. Je l’avais photographiée au-dessus du vide. À cette époque, je l’appelais Petite Folle et ce n’était pas pour rien.
Tandis que s’installe le monde sur les quelques chaises, sur les marches de pierre ou par terre, Gul de Boa, dont le physique d’Indien des villes est approprié à la situation, surveille le ciel et sa montre, cependant que Philippe Davenet improvise jusqu’à l’exact coucher du soleil. Le concert peut commencer. Gul salue les statues qui nous entourent : Sainte Marguerite, Sainte Catherine, l'Archange Saint Michel et la Pucelle « avec son armure ras la foune ».
Dès la première chanson, je le retrouve comme dans mon souvenir, quelque part du côté de Ferré et Thiéfaine, mais avec un univers bien à lui. Ses textes d’une gaîté sans espoir sont savamment écrits et interprétés. Son pianiste d’été les met en valeur. Bref, cela me plaît tout à fait : « Si tu es d’accord, t’es mort » « Et si tu n’es pas d’accord, t’es mort aussi ». Le ciel s’obscurcit doucement, l’éclairagiste étant à la hauteur. L’accessoiriste aussi, qui fait passer un hélicoptère au-dessus de nos têtes entre deux chansons.
Parmi ses compositions Gul glisse une bonne reprise de La vente aux enchères de Gilbert Bécaud et, de temps à autre, il évoque le lieu d’exception où nous sommes, l’histoire de sa construction, le funiculaire qui y menait, la canonisation tardive de la Jeanne. Philippe Davenet se contente d’une précision historique d’importance : « Jeanne d’Arc s’est éteinte deux heures après sa mort. »
La dernière chanson raconte que « Le temps qui nous reste est un beau salaud ». Je le savais déjà.
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Gul de Boa, l’exemple même de l’artiste qui serait connu nationalement si dans le domaine de la chanson le temps était encore à la reconnaissance du talent.