Ce n’est plus Patrice Quéréel

23 février 2015


Oui, Quéréel ne l’est plus (je ne suis pas mécontent de mon jeu de mot qui évite celui que d’un commun accord les gens du cru font ce dimanche matin : Quéréel a pris du champ). Le voilà mort lui aussi, le spécialiste bouffon et autoproclamé de l’œuvre de Marcel, d’un cancer, à soixante-huit ans. C’est vrai que depuis un moment, je ne le voyais plus, se dit-on dans ce cas-là.
Souvent, nous nous croisions au Clos Saint-Marc, les jours de marché, ou alors dans la ruelle quand il faisait conférence devant une poignée de bourgeoises (et passait aussi la nuit) à La Page Blanche, en face de là où j’habite.
Il venait à moi de sa placide démarche d’éléphant rose et me saluait d’un « Comment vas-tu ? », étant une exception en ce qu’il ne me tenait pas rigueur (comme on dit) de toutes les moqueries et méchancetés que j’ai écrites sur son compte. Après l’échange de quelques mots, chacun de nous allait vers son but.
La dernière fois où j’ai discuté un peu longuement avec lui, c’était pour qu’il me raconte la mort de Marcel Duchamp. J’avais une idée derrière la tête. Je voulais savoir si ce qu’écrit et dessine Philippe Katerine dans son livre Doublez votre mémoire (Denoël) était exact, que lorsqu’on a incinéré Marcel on a trouvé dans le tas de cendres ses clés qui étaient restées dans sa poche. C’était vrai. Je lui ai demandé s’il connaissait Katerine. Non, évidemment.
Me levant à six heures, je ne le verrai plus à travers ma fenêtre, déjà debout dans l’appartement d’en face, installé à une table, un livre ouvert devant lui, l’image même de la solitude. Resteront aussi les bons souvenirs, quand j’étais bien accompagné, de la visite guidée de Rouen érotique, à l’occasion de la sortie de son livre sur le sujet, et de la journée passée à Nolléval en son Cimetière Mondial de l’Art, du déjeuner sur l’herbe après l'enterrement de quelques œuvres.
A ton tour d’être incinéré, Quéréel. Que trouvera-t-on dans ton tas de cendres ?