Au lit avec Yu Xiuhua, poète chinoise contemporaine

4 mars 2025


La seule poésie qui m’intéresse est autobiographique. Aussi ai-je passé un bon moment au lit à lire les textes de Yu Xiuhua qu’ont publiés les Editions Picquier sous le titre La femme sur le toit
« Yu Xiuhua élève des lapins blancs. Elle a arrêté l’école au collège, est gravement handicapée, et elle est aujourd’hui la poétesse chinoise la plus lue dans le monde. » raconte l’éditeur en quatrième de couverture.
Il en dit un peu plus sur le rabats de cette couverture : « Née en 1976, fille unique de parents ouvriers agricoles, le destin de Yu Xiuhua semblait tout tracé : émigrer vers la ville pour devenir ouvrière à l’usine d’iPhone de Foxconn. Mais elle publie un jour sur son blog un court poème qui connaît un succès fulgurant et suscite l’intérêt d’un prestigieux éditeur. Elle a aujourd’hui publié quatre recueils et ses poèmes ont des millions de lecteurs. »
Ces millions de lecteurs sont chinois. Qui la connaît en France ? Moi-même, si Book-Off ne me l’avait pas offerte pour un euro, aurais continué à n’en rien savoir.
On ne trouve quasiment rien à son propos en français sur Internet. Quand même ceci, signé Axelle Mariavale, Le phénomène Yu Xiuhua 余秀 , publié en ligne sur le site Impressions d’Extrême-Orient :
Femme poète, handicapée, originaire du Hubei rurale, Yu Xiuhua 余秀华 a marqué l’actualité chinoise lors du succès fulgurant de son poème « J’ai traversé la moitié de la Chine pour coucher avec toi » (Chuanguo daban ge Zhongguo qu shui ni 穿过大半个中国去睡你) en 2014. (…)
Poétesse de la marge, non seulement par son origine sociale, mais aussi par son style limpide qui aborde les banalités de son quotidien à la campagne, sans rudiments des normes poétiques. Le succès de ce style simpliste reflète une tendance plus large de la poésie chinoise contemporaine qui met en lumière une expérience de la vie du point de vue des couches inférieures de la société.
Simpliste est péjoratif, je parlerai plutôt de style simple. Un poème parmi la presque centaine de ce recueil, La pluie derrière la fenêtre
mais je demeure comme toujours au sec, une bouteille de vin bue
je la renverse, la fais choir, la redresse
la renverse de nouveau
la pluie au-dehors me néglige
une goutte en couve une autre, tombe
une goutte en pousse une autre, tombe
se fondre c’est aussi s’anéantir, s’anéantir c’est aussi se fondre
mais combien de temps faut-il à un être humain pour retourner au ciel
combien de temps au ciel
pour atteindre enfin
le point de chute
tandis que je tapote ma cigarette pour en débarrasser les cendres
une autre cigarette déjà se présente
alors que j’aime un homme à en mourir
un autre est déjà dans mon ventre
là où la pluie tombe elle tinte chaque fois différemment
nul ne disparaît plus vite qu’un autre
nul ne vient au monde plus complet qu’un autre
nul sous la pluie, tous sous la pluie
                                                                  *
Un seul poème évoque la tyrannie du régime chinois, Hommage à Li Wenliang, l’ophtalmologiste de trente-quatre ans interpellé par la Police le premier janvier deux mille vingt pour « propagation de fausses rumeurs ». Deux jours plus tôt, il avait alerté ses collègues dans un forum de discussion en ligne sur les dangers d’un nouveau virus apparu à Wuhan. Bientôt il en sera atteint, en mourra puis sera réhabilité par les autorités.
repose en paix !
il n’y a pas de virus plus terrible que celui d’être condamné pour sa parole
il n’y a pas un monde plus laid que celui qui ne distingue pas le bien du mal.
(…)
s’il y a encore un virus au paradis,
et si tu alertes une fois encore
où iras-tu ?
là où tu es recueilli, puisse-t-il
y avoir des êtres
qui parlent chinois
                                                                  *
Ouiquipédia en anglais (rien sur elle dans le Ouiquipédia en français) m’apprend qu’en mars deux mille vingt-deux, Yu Xiuhua a publié en ligne un poème intitulé Prière dans lequel elle critiquait l’invasion russe de l’Ukraine. Elle a d’abord été la cible de trolls pro-russes puis son poème a été retiré des plateformes de médias sociaux chinoises par les censeurs.