Au Sud, sixième : Collioure, quartier des pêcheurs, tombeau de Machado, visite du château

8 octobre 2019


Il est tôt ce lundi matin lorsque j’arpente mon quartier provisoire pour faire des photos de ses rues étroites aux maisons colorées autrefois habitées par des pêcheurs. Je n’y croise personne. D’ailleurs, quelle que soit l’heure à laquelle je sors ou reviens dans celle où je loge, je ne vois pas âme qui vive, et la nuit aucun bruit ne perturbe mon sommeil.
De là, je me dirige vers la gare, et peu avant le Carrefour Marquette, tourne à gauche dans une impasse où se trouve le cimetière. Je n’ai aucune difficulté à trouver le tombeau d’Antonio Machado. Isolé sur la droite en entrant, habillé du drapeau de son pays, nul ne peut le manquer, avec sa boîte à lettres scellée dans la pierre. Un jour où je passais par-là, il y a moult années, des écolières espagnoles y glissaient chacune une missive, mais aujourd’hui je suis seul devant la dalle. Cependant, des pommes de pin, des fleurs et des plaques officielles, dont l’une datant de cette année, témoignent de la vie qui règne ici. Je ressors de ce cimetière avec les vers d’Aragon chantés par Jean Ferrat en tête : Machado dort à Collioure / Trois pas suffirent hors d'Espagne / Que le ciel pour lui se fît lourd / Il s'assit dans cette campagne / Et ferma les yeux pour toujours.
Je vais ensuite jusqu’au Château Royal et attends qu’à dix heures il ouvre, afin de visiter ce qui peut s’en voir. Mon grand âge me permet de ne payer que deux euros pour aller librement à la découverte de salles toutes vides. Dans l’une, quand même, est accroché un tableau montrant le départ pour Naples des juifs chassés d’Espagne arrivés à Collioure un an plus tôt.
Grimpé sur les remparts, je suis soumis à un vent sévère, mais j’y trouve un abri ensoleillé qui me permet d’assister de haut aux manœuvres du commando de choc. Les occupants de trois canots fonctionnant à la rame, sous les ordres d’un instructeur en bateau à moteur, simulent un débarquement sur la plage.
La visite s’achève par une évocation un peu scolaire, mais qui a le mérite d’exister, d’un épisode peu glorieux de l’histoire de ce château. En mars mil neuf cent trente-neuf, après la victoire de Franco, il fut transformé en prison pour devenir le premier camp disciplinaire destiné aux réfugiés espagnols.
Quand je redescends sur le bord de mer où les vagues sont bien formées ce matin, je me trouve face à deux militaires venus en kayak, le visage peint façon camouflage et porteurs de fusils d’assaut peut-être factices. Le lieu où se déroule ces exercices est si opposé à l’esprit qui les anime que je suis tenté d’y voir une animation pour touristes, comme celle offerte par les musiciens de rue présents quotidiennement. L’un d’eux est un spécialiste du Concerto d’Aranjuez. Il y a aussi un duo guitare et saxophone blanc en plastique qui joue de la musique brésilienne.
Comme le menu du jour de L’Amphitryon s’avère être un menu de tous les jours, je m’en vais déjeuner à l’Hostellerie des Templiers, et à l’intérieur, afin de voir les tableaux qui en occupent les murs et, incidemment, le va-et-vient des jolies serveuses, dont une anorexique. Côté cuisine, c’est aussi cher qu’ailleurs, dix-sept euros quatre-vingt-dix pour le premier menu et onze euros pour un demi de vin blanc (ce n’est pas que je tienne à boire un demi à chaque repas mais dans le coin le quart est inconnu). Après une salade torti, jambon Serrano, fromage Manchego et tomates confites correcte, un risotto gambas et chorizo avec une seule bestiole, je suis déçu par le turrón glacé maison aussi dur qu’un glaçon.
-C’est bizarre un sax en plastique, dit ma voisine à son mari.
-Un quoi ? l’interroge-t-il d’un air interloqué.
-Un sax, qu’est-ce que tu avais compris ?
Lorsque je paie à l’une des jolies filles, je lui demande si elle sait qui sont les deux hommes représentés sur le tableau derrière elle.
-Vous savez, vous, monsieur ? me répond-elle.
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L’Hostellerie des Templiers fut fréquentée par Matisse, Maillol, Dali, Picasso et Dufy, tous amis avec René Pons, le grand-père de l’actuel patron. Ils le remerciaient pour le gîte et le couvert par des dons d’œuvres. Le fils de René, amateur d’art, a continué la collection. « Avis aux cambrioleurs, les tableaux les plus beaux ne sont pas ici », précise Le Guide du Routard.
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À la chute de la Seconde République espagnole, le poète Antonio Machado, sa mère, Ana Ruiz, et deux de ses frères, fuirent vers la France. Peu après leur arrivée à Collioure, épuisé, il y mourut, trois jours avant sa mère. C’était le vingt-deux février mil neuf cent trente-neuf. Il avait soixante-trois ans.