La nuit est encore noire quand je remonte la rue de la Croix-de-Fer. Deux des voitures garées-là ont une vitre latérale brisée. Ce mercredi sera un mauvais jour pour leurs propriétaires. En gare de Rouen, le sept heures cinquante-six est annoncé avec dix minutes de retard suite à des difficultés de mise en place au Havre.
Quand il arrive, je m’assois à ma place réservée. Un homme veut faire de même, qui demande poliment à celui qui l’occupe déjà s’il peut en changer. Ce dernier se lève brutalement et crie que puisque c’est comme ça il restera debout dans le couloir. Le boulevard Industriel que longe la voie ferrée à la sortie de la ville est encombré de camions à l’arrêt, bloqués là pour les Gilets Jaunes qui occupent le rond-point des Vaches, lesquelles vaches ils ont saccagées dès la première nuit de leur insurrection. Deux ont été complètement incendiées, deux endommagées et mises à l’abri par les services de la ville de Saint-Etienne-du-Rouvray et la dernière portée disparue. En revanche, après Mantes-la-Jolie, sur l’autoroute, la circulation est fluide (comme dit Vison Buté) et au brouillard succède le soleil.
A l’arrivée à Saint-Lazare, j’ai le temps d’aller à pied avec mon sac de livres à vendre jusqu’au Book-Off de Quatre Septembre et d’être à sa porte peu avant l’ouverture. L’employée qui examine mes ouvrages doit avoir pris des amphétamines pour être aussi vibrionnante. Elle en refuse deux et me donne six euros quarante pour le reste. Je n’en dépense que deux dans la boutique dont l’un pour L’autre Verlaine de Guy Goffette (Gallimard).
Le métro Huit me permet de rejoindre la rue Ledru-Rollin. Chez Emmaüs, où je mets mes deux invendus dans le panier aux livres, une femme à cheveux blancs pose un jeu de société sur le comptoir et déclare au caissier qu’elle le paiera quatre euros cinquante.
-Ce n’est pas à vous de faire le prix, lui dit-t-il.
Elle repousse violemment la boîte.
-Puisque c’est comme ça, j’achète rien, crie-t-elle en partant.
Au marché d’Aligre les vendeurs de livres sont de retour mais leur stock n’est pas nouveau. Voulant quitter le deuxième, je demande pardon à un quinquagénaire barbu et ventru qui m’empêche d’avancer.
-Eh bah vas-y passe, me crie-t-il.
Je lui fais remarquer que je n’ai pas la place, à moins de bousculer la dame qui est derrière lui dans l’allée.
-C’est ma sœur, crie-t-il.
-C’est votre sœur donc j’ai le droit de la bousculer, c’est ça ?
Furieux et maugréant, il consent à se pousser un peu.
A midi, je déjeune au Péhemmu chinois où malgré l’affluence personne n’est irrité. Des collègues de premier étage d’une boutique du coin parlent de celles qui travaillent au rez-de-chaussée et qu’elles jalousent. Un sexagénaire mange face à sa femme qui doit rester à jeun pour son rendez-vous à l’Hôpital. Sans même les avoir goûtés, et tout en reniflant, il verse la salière sur ses frites puis éjacule un flot de moutarde dans l’assiette. Sa moitié, sans dire mot, passe le temps à gratter des jeux à perdre.
A treize heures, je suis sous Beaumarchais dans un rai de soleil à attendre celle avec qui j’ai rendez-vous. Nous allons prendre une boisson chaude place de la Bastille à la terrasse du Café des Phares, laquelle a l’avantage d’être ensoleillée.
Elle est un peu énervée par sa matinée de travail et peut-être le suis-je aussi, d’où une discussion un peu tendue au début mais au bout d’un moment, heureusement, cela s’apaise et nous passons un bon moment chauffés par le rond jaune.
Quand elle doit retourner au labeur, je vais explorer les rayons du Book-Off du faubourg Saint-Antoine sans y trouver merveille hormis le Ferdydurke de Witold Gombrowicz dans l’édition grand format de chez Christian Bourgois, un livre que je cherchais depuis longtemps car un bicycliste de ma connaissance, un esthète allergique aux livres de poche, est désireux de le lire.
*
Lucile du Rez-de-Chaussée, noblesse de magasin.
Quand il arrive, je m’assois à ma place réservée. Un homme veut faire de même, qui demande poliment à celui qui l’occupe déjà s’il peut en changer. Ce dernier se lève brutalement et crie que puisque c’est comme ça il restera debout dans le couloir. Le boulevard Industriel que longe la voie ferrée à la sortie de la ville est encombré de camions à l’arrêt, bloqués là pour les Gilets Jaunes qui occupent le rond-point des Vaches, lesquelles vaches ils ont saccagées dès la première nuit de leur insurrection. Deux ont été complètement incendiées, deux endommagées et mises à l’abri par les services de la ville de Saint-Etienne-du-Rouvray et la dernière portée disparue. En revanche, après Mantes-la-Jolie, sur l’autoroute, la circulation est fluide (comme dit Vison Buté) et au brouillard succède le soleil.
A l’arrivée à Saint-Lazare, j’ai le temps d’aller à pied avec mon sac de livres à vendre jusqu’au Book-Off de Quatre Septembre et d’être à sa porte peu avant l’ouverture. L’employée qui examine mes ouvrages doit avoir pris des amphétamines pour être aussi vibrionnante. Elle en refuse deux et me donne six euros quarante pour le reste. Je n’en dépense que deux dans la boutique dont l’un pour L’autre Verlaine de Guy Goffette (Gallimard).
Le métro Huit me permet de rejoindre la rue Ledru-Rollin. Chez Emmaüs, où je mets mes deux invendus dans le panier aux livres, une femme à cheveux blancs pose un jeu de société sur le comptoir et déclare au caissier qu’elle le paiera quatre euros cinquante.
-Ce n’est pas à vous de faire le prix, lui dit-t-il.
Elle repousse violemment la boîte.
-Puisque c’est comme ça, j’achète rien, crie-t-elle en partant.
Au marché d’Aligre les vendeurs de livres sont de retour mais leur stock n’est pas nouveau. Voulant quitter le deuxième, je demande pardon à un quinquagénaire barbu et ventru qui m’empêche d’avancer.
-Eh bah vas-y passe, me crie-t-il.
Je lui fais remarquer que je n’ai pas la place, à moins de bousculer la dame qui est derrière lui dans l’allée.
-C’est ma sœur, crie-t-il.
-C’est votre sœur donc j’ai le droit de la bousculer, c’est ça ?
Furieux et maugréant, il consent à se pousser un peu.
A midi, je déjeune au Péhemmu chinois où malgré l’affluence personne n’est irrité. Des collègues de premier étage d’une boutique du coin parlent de celles qui travaillent au rez-de-chaussée et qu’elles jalousent. Un sexagénaire mange face à sa femme qui doit rester à jeun pour son rendez-vous à l’Hôpital. Sans même les avoir goûtés, et tout en reniflant, il verse la salière sur ses frites puis éjacule un flot de moutarde dans l’assiette. Sa moitié, sans dire mot, passe le temps à gratter des jeux à perdre.
A treize heures, je suis sous Beaumarchais dans un rai de soleil à attendre celle avec qui j’ai rendez-vous. Nous allons prendre une boisson chaude place de la Bastille à la terrasse du Café des Phares, laquelle a l’avantage d’être ensoleillée.
Elle est un peu énervée par sa matinée de travail et peut-être le suis-je aussi, d’où une discussion un peu tendue au début mais au bout d’un moment, heureusement, cela s’apaise et nous passons un bon moment chauffés par le rond jaune.
Quand elle doit retourner au labeur, je vais explorer les rayons du Book-Off du faubourg Saint-Antoine sans y trouver merveille hormis le Ferdydurke de Witold Gombrowicz dans l’édition grand format de chez Christian Bourgois, un livre que je cherchais depuis longtemps car un bicycliste de ma connaissance, un esthète allergique aux livres de poche, est désireux de le lire.
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Lucile du Rez-de-Chaussée, noblesse de magasin.