A Paris, ressassant des idées noires

24 septembre 2015


Téléphoner plusieurs fois à un autre pour lui dire où on est assis dans le train, lui expliquer comment faire pour se retrouver dans la même voiture, se retourner à chaque fois que la porte bat, pour rien, finir par renoncer et à l’arrivée à Paris, par un nouvel appel téléphonique, comprendre que celui qu’on a attendu en vain était dans le train de huit heures sept, c’est ce qui arrive à l’un qui comme moi arrive à Paris par le sept heures cinquante-neuf ce mercredi.
Il fait soleil dans la capitale. Je prends donc le bus Vingt pour me rapprocher du Book-Off de la Bastille. J’y entre cinq minutes après l’ouverture et suis accueilli cette fois encore par la voix de Léo Ferré. De Jolie Môme et Thank you Satan à Avec le temps et La Solitude, je fais mon marché et oublie les idées noires qui me trottent dans la tête.
Celles-ci reviennent tandis que je rejoins à pied le quartier Beaubourg afin de déjeuner chez New New. Trois semaines de pommade puis une semaine d’antibiotiques sans que disparaisse ce qui est peut-être le symptôme d’autre chose. Que va m’annoncer mon médecin quand je le reverrai la semaine prochaine, quels examens va-t-il m’imposer ? Ou bien ai-je tort de m’alarmer ?
Il y a du monde dès midi dans le restaurant chinois à volonté pour neuf euros quatre-vingts de l’impasse Beaubourg. Certains se jettent sur le buffet sans prendre le temps d’ôter leur manteau. Un groupe d’une dizaine de stagiaires, dans lequel chacun semble surpris de côtoyer les autres, découvre la nourriture asiatique. Tous mélangent dans une même assiette les nems, les viandes et les nouilles à la chinoise, les sushis et les makis. Ils ne sont pas les seuls à se préparer une telle mixture. Un couple répugnant que je vois ici toutes les fois où j’y mange fait de même (et je les soupçonne d'en mettre dans un sac en plastique pour leur repas du soir).
Derrière moi, deux femmes collègues discutent travail : le problème en France, l’obligation d’avoir des diplômes ; l’ennemi, le chef de service ; le faux ami,  le psychologue qui te dira « Apprenez à respirer » ou bien « Ecrivez » ; le moyen de se défendre, le congé de maladie ; l’ultime recours, aller aux prud’hommes.
J’ai encore bien des occasions pour penser à ce qui m’obsède pendant que je fais le tour des librairies de Châtelet : Boulinier, Gilda, Le Gai Rossignol (celle-ci entièrement rénovée où j’ouvre une carte de fidélité en matière d’antidote) puis je traverse la Seine à pied pour revoir le Quartier Latin et fureter dans les bacs de trottoir des deux Gibert.
Le bus Vingt-Neuf m’emmène près du Book-Off de l’Opéra. J’y rapporte le petit Taschen sur Lucian Freud acheté deux euros la semaine dernière, m’étant aperçu un peu tard qu’il était en anglais. J’en avais déjà enlevé les étiquettes et je n’ai pas le ticket de caisse, mais on veut bien me l’échanger quand même. « Parce que c’est vous », me dit celle auprès de qui je plaide ma cause.
Dans les rayonnages à deux euros de l’étage, je ne trouve pour le remplacer que Le Havre, Auguste Perret et la reconstruction aux Editions de l’Inventaire, puis je remplis mon panier, au rez-de-chaussée, de livres qui m’intéressent davantage, à un euro, dont Lettres d’une vie, la correspondance de Lucrèce Borgia dans l’édition établie par Guy Le Thiec pour Payot. Ce dernier l’avait envoyé « A Monsieur Jean-Pierre Elkabbach, en respectueux hommage ».
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Faut-il s’étonner si chez Book-Off à l’intercalaire Sarraute on trouve les livres de Claude, la fille ?
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Nul soliloqueur ce mercredi au comptoir de la Clé des Champs. L’analyse de l’eau potable par celui de la semaine dernière n’était pas de lui, m’a-t-on appris, mais d’un comique dont la vidéo tourne sur les réseaux sociaux.
J’y découvre la nouvelle serveuse, débutante, pleine de bonne volonté. A un moment, elle vient me voir pour me demander si ça va bien. Je ne sais pas ce qui se passerait si je lui répondais : « Non justement, je suis très inquiet pour ma santé ».