Après deux mille quinze qui ne rimait à rien, deux mille seize qui rime un peu trop à l’aise. Pour moi point de liesse, point de cotillon, point de souhaits à bulles quand sonnent les douze coups de minuit, cette fête de passage à l’an nouveau ne peut m’intéresser que si je suis en tête-à-tête avec quelqu’une et qu’on s’embrasse sous le gui à minuit. Je peux toujours rêver que cela m’arrive à nouveau le trente et un décembre deux mille seize mais me garderai bien de me souhaiter autre chose, trop de vœux tuent les vieux.
C’est tôt que je me couche et suis à peine réveillé vers minuit quand du côté de la rue Saint-Nicolas se fait entendre une fanfare. C’est tôt également que je me lève et m’apprête à quitter Rouen pour la journée, cette ville étant désespérante le premier janvier. Pour cela, je monte dans un moderne petit train dont le terminus est Dieppe. Avec un typique bruit ferroviaire, il suit le cours de la Scie et est peu fréquenté en cette matinée. Une femme y chantonne des airs africains. A Auffay montent deux couples de retraités marcheurs à bâton en tenue adéquate « le premier janvier et déjà dans le train ». Ils descendent à l’arrêt suivant : Longueville-sur-Scie. Quelques vaches, moutons et chevaux plus loin, le train entre dans un tunnel puis débouche dans la ville de Dieppe, près du port, avec deux minutes d’avance.
La grande enseigne rouge du Tout Va Bien me fait signe au loin tandis que le soleil se lève par derrière. J’y bois un café verre d’eau en lisant Immédiatement, recueil de notes de Dominique de Roux (La Petite Vermillon), pendant qu’autour de moi on ne cesse de se bonanner (et la santé surtout) :
-Alors, ça a été ?
-Oh oui, que nous avec les enfants.
Quand je ressors, le ciel est couvert de nuages et souffle un vent frisquet qui ne m’empêche pas de faire le tour du port, de sillonner les petites rues intérieures et de saluer la mer de loin.
A midi, je déjeune à La Réserve, sur le quai Henri le Quatrième, un restaurant tenu par un couple, lui en cuisine, elle en salle : terrine de foie de lottes, belle assiette de fruits de mer, sablé normand, avec une bonne bouteille de muscadet et la vue sur le port et les autres convives. Ce sont surtout des couples d’un certain âge, l’un des hommes est un faux René Girard, un autre s’en veut d’avoir oublié de photographier son assiette de fruits de mer avant de mettre la main dedans, la plupart n’arrivant plus à se croiser du regard. Il y a aussi un fils de trente ans avec ses parents qui n’ont pas l’air d’être au courant et un duo de femmes qui ne peuvent boire du champagne qu’avec du sirop dedans. C’est vite complet et nombreux sont les entrés plein d’espoir qui ressortent dépités. La restauratrice à me voir écrire dans mon carnet se demande si je serais pas un de ces redoutables critiques de guide touristique.
Lorsque je quitte La Réserve, le grand air m’est bénéfique. Laissant le Café des Voyageurs aux nombreux réfugiés qui s’y regroupent en attendant de tenter encore une fois de se glisser dans le ferry pour l’Angleterre, c’est au Balto que je poursuis Immédiatement.
Un train hors d’âge graffité à la cheminée fumante me ramène à Rouen et il arrive à l’heure démentant la moquerie circulant le matin même sur Effe Bé, où la Senecefe « vous souhaite une bonne année deux mille onze et vous prie de l’excuser pour ce retard ».
*
Sur Paulhan cette anecdote : c’est 1942, il n’y a plus aucun livre en librairie, mais dans un bureau de tabac à Dieppe sur le comptoir : Les Fleurs de Tarbes. Salacrou s’étonne et la patronne de répondre : « impossible de vendre ce livre, monsieur, peut-être parce que ces fleurs ne sont pas du pays. » Dominique de Roux, Immédiatement
C’est tôt que je me couche et suis à peine réveillé vers minuit quand du côté de la rue Saint-Nicolas se fait entendre une fanfare. C’est tôt également que je me lève et m’apprête à quitter Rouen pour la journée, cette ville étant désespérante le premier janvier. Pour cela, je monte dans un moderne petit train dont le terminus est Dieppe. Avec un typique bruit ferroviaire, il suit le cours de la Scie et est peu fréquenté en cette matinée. Une femme y chantonne des airs africains. A Auffay montent deux couples de retraités marcheurs à bâton en tenue adéquate « le premier janvier et déjà dans le train ». Ils descendent à l’arrêt suivant : Longueville-sur-Scie. Quelques vaches, moutons et chevaux plus loin, le train entre dans un tunnel puis débouche dans la ville de Dieppe, près du port, avec deux minutes d’avance.
La grande enseigne rouge du Tout Va Bien me fait signe au loin tandis que le soleil se lève par derrière. J’y bois un café verre d’eau en lisant Immédiatement, recueil de notes de Dominique de Roux (La Petite Vermillon), pendant qu’autour de moi on ne cesse de se bonanner (et la santé surtout) :
-Alors, ça a été ?
-Oh oui, que nous avec les enfants.
Quand je ressors, le ciel est couvert de nuages et souffle un vent frisquet qui ne m’empêche pas de faire le tour du port, de sillonner les petites rues intérieures et de saluer la mer de loin.
A midi, je déjeune à La Réserve, sur le quai Henri le Quatrième, un restaurant tenu par un couple, lui en cuisine, elle en salle : terrine de foie de lottes, belle assiette de fruits de mer, sablé normand, avec une bonne bouteille de muscadet et la vue sur le port et les autres convives. Ce sont surtout des couples d’un certain âge, l’un des hommes est un faux René Girard, un autre s’en veut d’avoir oublié de photographier son assiette de fruits de mer avant de mettre la main dedans, la plupart n’arrivant plus à se croiser du regard. Il y a aussi un fils de trente ans avec ses parents qui n’ont pas l’air d’être au courant et un duo de femmes qui ne peuvent boire du champagne qu’avec du sirop dedans. C’est vite complet et nombreux sont les entrés plein d’espoir qui ressortent dépités. La restauratrice à me voir écrire dans mon carnet se demande si je serais pas un de ces redoutables critiques de guide touristique.
Lorsque je quitte La Réserve, le grand air m’est bénéfique. Laissant le Café des Voyageurs aux nombreux réfugiés qui s’y regroupent en attendant de tenter encore une fois de se glisser dans le ferry pour l’Angleterre, c’est au Balto que je poursuis Immédiatement.
Un train hors d’âge graffité à la cheminée fumante me ramène à Rouen et il arrive à l’heure démentant la moquerie circulant le matin même sur Effe Bé, où la Senecefe « vous souhaite une bonne année deux mille onze et vous prie de l’excuser pour ce retard ».
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Sur Paulhan cette anecdote : c’est 1942, il n’y a plus aucun livre en librairie, mais dans un bureau de tabac à Dieppe sur le comptoir : Les Fleurs de Tarbes. Salacrou s’étonne et la patronne de répondre : « impossible de vendre ce livre, monsieur, peut-être parce que ces fleurs ne sont pas du pays. » Dominique de Roux, Immédiatement