Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

12 décembre 2020


Ce temps humide et froid fait depuis quelques jours renaître une douleur rhumatismale dans mon épaule droite, un handicap pour lire au lit le lourd livre de Gallimard regroupant les Cahiers de Cioran, rendus publics après sa mort, avec l’accord de sa « veuve », laquelle mourut avant l’aboutissement.
Je le lis à bonne vitesse car je saute la plupart des notes du neurasthénique, notamment celles où il se lamente sur sa déprime et son aboulie, ainsi que celles où il évoque Dieu. Je n’y prélève que de rares aveux biographiques et quelques pensées à mon goût.
Points de vie :
Depuis vingt-cinq ans, je vis dans les hôtels. Cela comporte un avantage : on n’est fixé nulle part, on ne tient à rien, on mène une vie de passant. Sentiment d’être toujours en instance de départ, perception d’une réalité suprêmement provisoire.
20 juillet 1960. Depuis dix ans, j’ai rêvé d’un appartement. Mon rêve s’est réalisé, sans rien m’apporter. Je regrette déjà les années d’hôtel. La possession me fait plus souffrir que le dénuement.
Du temps que je faisais la France à bicyclette et que je partais en vadrouille pour des mois, je me rappelle que mon grand plaisir était de m’arrêter dans des cimetières de campagne pour fumer…
14 juillet Avant-guerre, à cette époque-ci de l’année, j’étais en vélo en Bretagne. Pluies à l’île de Bréhat, à la pointe du Raz, à Pont-Aven ! Et les aventures dans les auberges avec des institutrices !
Dans le voisinage, un coq chante presque tout le temps (place de l’Odéon !). C’est mon ami, mon seul ami. Il doit habiter quelque mansarde de la maison d’en face. Sa présence, son chant surtout me réconcilie avec Paris, et même avec moi-même. J’étais fait pour être un garçon de ferme, pour me prélasser dans la bouse.
8 octobre – J’ai passé aujourd’hui deux heures dans les grands magasins. Soudain, en choisissant au sous-sol du Louvre une cuiller en bois, je sentais – révélation fréquente dans ma vie – que je n’appartenais pas à ce monde-ci, que ma place n’était pas parmi les hommes.
Suis allé chez Gallimard pour la remise à P. de son épée d’académicien. Tout le public des cocktails. Impression funèbre : P. en uniforme, entouré de vieilles femmes et d’écrivains douteux. – après avoir refusé, pendant toute une vie, les honneurs. Très nettement, impression d’enterrement ou de mariage provincial.
Il faut s’habituer à ne rien posséder. En ce sens, j’ai fait un bon apprentissage pendant les vingt-cinq ans que j’ai passés dans les hôtels. Une bibliothèque est une propriété, un fardeau. Ne rien accumuler, même pas les années, se détacher de son passé et de son avenir, affronter le présent, non, s’y résigner.
Point de vue :
En fait d’invention, l’homme aurait dû s’en tenir à la brouette. Tout perfectionnement technique est néfaste et doit être dénoncé comme tel. On dirait que le seul sens du « progrès » est de contribuer à l’augmentions du bruit, à la consolidation de l’enfer.
Et considération définitive :
Au bout d’un certain temps, presque tous ceux qui m’ont trouvé quelque mérite ont fini par se détourner de moi. J’ai perdu tous mes « admirateurs », si tant est que j’en aie jamais eu un seul. J’inspire de la déception.
 
 

11 décembre 2020


Ruée dans les magasins. Chute humide des températures. Les deux causes probables de la stagnation de la diminution puis de la remontée des cas de Covid en France, et ailleurs en Europe.
Ce jeudi à dix-huit heures, Jean Castex, Premier Ministre, Droitiste, sort sa règle en bois. Une nouvelle fois le monde de la Culture (comme on dit) en prend un bon coup sur les doigts. Théâtres, cinémas et musées resteront fermés contrairement à ce qu’Emmanuel Macron, Président de la République, Centriste de Droite, avait plus ou moins promis.
Qui peut croire que cette décision permettra d’échapper à la nouvelle aggravation de l’augmentation des cas de Covid, alors qu’à la ruée finale en magasins dans l’air froid et humide vont s’ajouter les fêtes de fin d’année, même restreintes. Le sept janvier, ces lieux ne pourront sans doute pas rouvrir.
Personnellement, de ce confinement remplacé par un couvre-feu, je n’ai rien à attendre. Impossible d’aller en vadrouille en hiver sans possibilité de s’abriter et tant que les cafés ne sont pas rouverts, c’est exclu.
                                                            *
Comme si ce qui se passe en ce temps de froidure et d’humidité n’était pas prévisible après les cleusteurs découverts dans les abattoirs l’été dernier.
 

10 décembre 2020


Ce mercredi, à neuf heures, j’ai contrôle et détartrage chez mon dentiste où dans la salle d’attente, désormais, une chaise sur deux est condamnée. J’y suis seul.
Quand l’assistante m’appelle, je dois me laver une nouvelle fois les mains avec le gel hydroalcoolique puis enfiler les surchaussures.
-Alors, vous avez échappé au Covid ? me demande le praticien.
-Oui, à moins que je l’aie eu sans le savoir, il y a des vieux qui sont asymptomatiques.
Vieux, il l’est déjà, certes pas autant que moi, et il semble encore plus inquiet que la dernière fois. Il a fait installer un tuyau supplémentaire, dont s’occupe l’assistante, qui sert à aspirer l’air potentiellement chargé de virus qui sort de ma bouche. Lui s’occupe du tuyau qui aspire la salive. De l’autre main, il détartre.
-Il y a du tartre, me dit-il, mais qui ne tient pas, facile à enlever.
-Oui, cela me fait moins mal que les autres fois.
-Vous avez changé de régime alimentaire ? me demande-t-il
-J’ai mangé au restaurant tous les midis pendant quatre mois, lui réponds-je.
Un prochain rendez-vous est pris pour août deux mille vingt et un. Soyons optimiste.
                                                           *
Le restaurant : bon pour les dents, mauvais pour le foie (si j’en juge par mon cas personnel).
                                                           *
Cette fois, ce film vu à la télé il y a plus d’un demi-siècle, dont la seule image me restant est celle de personnages marchant dans les rues d’une ville et ne sachant comment en sortir, en fait cogiter plus d’un(e) mais sans m’apporter de réponse.
L'Ange exterminateur de Luis Buñuel, que me propose l’ami de Stockholm, a une intrigue assez similaire mais le lieu d’enfermement est une maison et ceux qui y sont retenus ne sont pas morts.
Reste à savoir si ma mémoire est fidèle.
 

9 décembre 2020


Me poursuit le souvenir d’un film que je pense avoir vu pendant cette sorte de confinement que fut la période Mai Juin Soixante-Huit, lycée fermé, cafés fermés, boutiques fermées, bibliothèque municipale fermée, tout le monde en grève, ma seule sortie étant le tennis cleube où je tentais de me faire remarquer par les jeunes filles de bonne famille, le reste du temps : bloqué à la maison.
Le soir, c’était la télé, qui venait seulement d’arriver au domicile, regardée en famille et en noir et blanc, programme unique remplaçant celui empêché par la grève. Il se résumait à un film quotidien, parfois très bon. Je me souviens d’Il bidone de Federico Fellini et de Codine d’Henri Colpi, adapté du roman de Panaït Istrati, ainsi que de ce film qui m’obsède et dont je ne sais plus ni le titre ni le réalisateur.
J’ai posé la question sur les réseaux sociaux. On ne m’a pas répondu. Soit personne n’avait la réponse, soit personne ne s’est soucié de ma demande.
Dans ce film, différents humains arrivent dans une ville et ne peuvent repartir. Ils finissent par comprendre qu’ils sont morts. Que cette ville est le lieu où sont envoyés les défunts.
J’avais dix-sept ans quand j’ai été suffisamment marqué par cette histoire pour qu’elle me revienne régulièrement en mémoire, particulièrement en ce deuxième confinement, dont elle pourrait être une sorte d’allégorie.
 

8 décembre 2020


Suite et fin de ma lecture au lit de la Correspondance entre Ferdinando Galiani (abbé) et Louise d’Epinay (marquise) publiée chez Desjonquères. Les lettres de ce cinquième volume mènent les deux amis, jamais consolés d’avoir été séparés, vers la mort, par le truchement de la maladie (pour elle) et de la dépression (pour lui). Leurs missives, hebdomadaires au début, sont de plus en plus espacées vers la fin. Parfois la marquise, trop atteinte, est remplacée par sa fille, Mme de Belsunce.
Mes échantillons :
A ce propos je vous dirai, que je suis accablé d’affaires au non plus ultra dans ce moment, puisque je suis à régler les contrats du mariage de ma troisième et dernière nièce. Elle a été bien coriace à écorcher puisqu’elle est laide, et bossue. Cependant je la marie enfin, et m’en débarrasse. Convenez que je suis un terrible épouseur. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le dix mai mil sept cent soixante-dix-sept
Pourquoi vous inquiétez-vous si fort qu’elle fasse toujours usage de l’opium ? Qu’en craignez-vous ? Ignorez-vous (non vous n’ignorez pas) que l’Orient tout entier, c’est-à-dire la moitié du genre humain, vit avec l’opium, ou pour mieux dire dans l’opium jusqu’à la décrépitude ? L’Occident se sert de vin au lieu d’opium et en tire le même parti. Ne connaissez-vous pas de vieilles ivrognesses ? Eh bien ! Maman sera une vieille ivrognesse d’opium. Ferdinando Galiani à Mme de Belsunce, Naples, le vingt-deux novembre mil sept cent soixante-dix-sept
Voltaire a acheté une maison assez proche de moi. Il l’habitera au mois de septembre. Sa nièce est assez sérieusement malade ; cette circonstance lui a fait renoncer au projet d’aller passer deux mois à Ferney. (…) Il partage toujours avec Franklin les applaudissements et les acclamations du public. Dès qu’ils paraissent soit aux spectacles, aux promenades, aux académies, les cris, les battements de mains ne finissent pas… (…)
Parlons de l’opium, je commence à m’en passer d’un jour l’un, pour ne pas m’user sur ce charmant remède. Louise d’Epinay à Ferdinando Galiani, Paris, le trois mai mil sept cent soixante-dix-huit.
Je commence à sentir que les malheurs des hommes viennent de leur prévoyance, malgré qu’on en dise le contraire. La prévoyance est la cause des guerres actuelles de l’Europe. Parce qu’on prévoit que la maison d’Autriche s’agrandira, que les Américains dans quelques siècles d’ici, que les Anglais les Français, les Espagnols, dans cent ans feront ou ne feront pas certaines choses, on commence par s’égorger à l’instant. Si on voulait se donner la peine de ne rien prévoir, tout le monde serait tranquille… Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le premier août mil sept cent soixante-dix-huit
… je vous assure qu’il ne peut y avoir que la peste qui puisse me rendre la gaieté et la belle humeur : car je suis dans un accablement, un vide de sentiment mortel. Ferdinando Galiani à Mme de Belsunce, Naples, le douze septembre mil sept cent soixante-dix-huit
Vous attribuez la perte de la gaité à la corruption des mœurs ; j’aimerais mieux l’attribuer à l’augmentation prodigieuse de nos connaissances ; à force de nous éclairer, nous avons trouvé plus de vide que de plein… Ferdinando Galiani à Mme de Belsunce, Naples, le sept novembre mil sept cent soixante-dix-huit
Nous venons de promulguer une sage loi par laquelle le crime de viol de séduction stuprum est aboli à jamais. Quatorze cents personnes dans le royaume de Naples sont sorties de prison par effet de cette loi salutaire. Voyez quelle rage de stuprer nous avions, ou pour mieux dire quelle rage de forcer les hommes au mariage en laissant prostituer les filles avaient les parents, et les prêtres consulteurs. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le vingt-sept février mil sept cent soixante-dix-neuf
Des persécutions à la cour, la canaille des gens de lettres révoltée contre trois ou quatre vrais savants dont on me met à la tête ; une infinité de chagrins domestiques ; ma maîtresse malade pendant deux mois, un cheval mort, un voyage fait pour voir une sœur abbesse de la Visitation S. George. Voilà une esquisse de mon incroyable état. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le trois juin mil sept cent quatre-vingt
Je suis bien en peine du tourment que vous donnent vos dents, mais si elles vous tombent soyez-en bien contente. Il n'y a pas de plus grande commodité que de n’en pas avoir, et je l’éprouve. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le trente octobre mil sept cent quatre-vingt
                                                                    *
La marquise Louise d’Epinay est morte le dix-sept avril mil sept cent quatre-vingt-trois. Elle avait cinquante-sept ans.
L’abbé Ferdinando Galiani est mort le trente octobre mil sept cent quatre-vingt-sept. Il avait cinquante-huit ans.
 

7 décembre 2020


Ce dimanche, après une première fois le précédent, je mets le pied au marché du Clos Saint-Marc, avec précaution. Il est un peu différent de celui d’avant-guerre. Des marchands ont disparu. Une « allée des producteurs » a été créée, regroupant les cultivateurs du coin, dont les stands ont été tournés côté rue. Ils montrent leur dos au reste des vendeurs.
Il y a file devant cette marchandise locale, mais pas plus qu’autrefois. Chez les autres, vers neuf heures, il est toujours possible de ne pas attendre. C’est ainsi que je repars rapidement avec un cœur de neufchâtel et un poulet rôti, après passage sur le bord de la brocante pour regarder vaguement les livres à vendre.
                                                             *
« Vous lisant régulièrement je m'étonne que vos billets soient depuis plusieurs jours datés de novembre. » m’écrit une fidèle lectrice. Les autres n’ont rien remarqué. Cela dure pourtant depuis quatre jours.
Heureusement qu’elle est là pour me remettre la pendule à l’heure. D’autant qu’il ne s’agit pas de la conséquence d’un mécanique copié collé mais d’une erreur chaque fois renouvelée.
Sans doute est-ce à mettre au compte de ces journées de confinement qui se ressemblent toutes, au temps qui ne passe pas.
 

6 décembre 2020


Mon projet d’aller chez la coiffeuse dès mon retour de Bretagne ayant été remis en cause par le deuxième confinement, c’est ce samedi à neuf heures que je peux pousser la porte du salon Figaro. Quel risque y a-t-il à se faire couper les cheveux ici ? On y est toujours seul avec l’opératrice qui ne reçoit que sur rendez-vous.
-Vous avez encore simplifié le salon ? lui dis-je à l’arrivée.
-Non j’ai repeint le mobilier, me répond-elle.
Après trois mois de pousse, pas question de ne couper qu’un centimètre. Je lui en demande trois ou quatre. Tandis qu’elle me raccourcit, nous parlons de la pandémie. Elle craint une troisième fermeture après les fêtes de fin d’année. Quand donc pourrons-nous nous débarrasser de nos masques ? se plaint-elle.
Je lui apprends qu’à ce jour on ne sait pas si le vaccin empêchera la contagion. Pas de quoi lui remonter le moral.
Mes vingt et un euros réglés, elle tamponne ma carte de fidélité puis me fait remplir un ticket de sa tombola annuelle. Une cafetière à expresso est à gagner. Je vais perdre comme l’an dernier et c’est tant mieux car que ferais-je de ce bazar ?
 

5 décembre 2020


Pas une émission de France Culture sans invité(s) à distance en liaison par Skype avec le présentateur et quasiment pas une émission sans problème technique : perte de liaison, son pourri, bruits bizarres, décalage entre questions et réponses, quand ce n’est pas chevauchement des deux. A quoi bon passer par Skype pour faire de la radio, ce serait plus simple d’utiliser un bon vieux téléphone. D’ailleurs certains le font pour rattraper leur invité quand plus rien ne marche.
J’écoute néanmoins ces émissions de radio diffusées en direct en mode dégradé. C’est quand même mieux que les émissions rediffusées du premier confinement qui m’avaient conduit à abandonner France Culture au profit de la réécoute de ma discothèque par ordre alphabétique. J’en étais arrivé à Léo Ferré.
Parmi ces émissions de France Culture j’aime particulièrement La Compagnie des œuvres, la quotidienne de Matthieu Garrigou-Lagrange dans laquelle ces quatre dernières semaines se sont succédées celles d’Edmond et Jules de Goncourt, de Jean-Luc Lagarce, de Johann Wolfgang von Goethe et d’Agatha Christie.
 

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