Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
25 février 2021
Plusieurs fois que je passe devant eux en allant faire mes courses chez U Express, les deux mignons de la rue Richard-Lallemant. Il sera bientôt aussi impudique de baisser un masque qu’un sous-vêtement. C’est ce qu’elle et lui font, face à face, timides et audacieux, une blonde et un brun qui tombent en amour, prêts pour le premier baiser.
Ce mercredi, je fais une photo de ce dessin aussi frais que s’il avait été collé la veille. C’est de l’art dans la rue. Signé, mais d’une façon si brouillonne que je ne sais par qui.
Contrairement à certain(e)s qui aiment tout ce qui est artistique sur le domaine public, peu retient mon attention. Ce n’est pas parce que c’est dans la rue que c’est forcément intéressant. Souvent, ce n’est que décoratif, ou alors moche, ou banal. A chaque fois, je transpose mentalement l’œuvre dans une galerie. Est-ce qu’elle y aurait sa place ? Neuf fois sur dix, je réponds non. Pour les deux mignons de la rue Richard-Lallemant, je réponds oui.
*
Grâce à Vingt Minutes, on en sait un peu plus sur la pathologie dont souffre Nicolas Sarkozy, qui lui a valu sur prescription médicale d’être vacciné avec Pfizer bien qu’âgé seulement de soixante-six ans. Citation extraite de l’article Coronavirus : Pourquoi les 65-74 ans ne sont-ils toujours pas éligibles à la vaccination anti-Covid ? : « Toutefois ceux qui sont à très hauts risques dans cette tranche d’âge sont éligibles au vaccin Pfizer, mais les cas sont très restreints : cancer évolutif, hémopathies en traitement, transplantations, trisomie 21 et maladies rares, énumère le Dr Jean-Paul Ortiz, médecin généraliste et président de la Confédération des Syndicats Médicaux Français. »
Tout cela ne présage rien de bon pour Sarko.
*
Avant lui, il y eut le pipole Michel Cymes. Ses deux doses de Pfizer, c’était pour donner l’exemple. Le vingt-trois février, il a été accusé de plagiat par un de ses confrères.
«Tu n’as pas honte de recopier quasiment mot à mot et de A à Z mon billet de blog?», l’a alpagué Marc Gozlan, médecin, auteur de Réalité Biomédicales sur Le Monde, après avoir entendu la chronique du pipole Ça va beaucoup mieux sur Erre Thé Aile.
Cymes a dû présenter ses excuses. On ne peut pas donner l’exemple tous les jours.
Ce mercredi, je fais une photo de ce dessin aussi frais que s’il avait été collé la veille. C’est de l’art dans la rue. Signé, mais d’une façon si brouillonne que je ne sais par qui.
Contrairement à certain(e)s qui aiment tout ce qui est artistique sur le domaine public, peu retient mon attention. Ce n’est pas parce que c’est dans la rue que c’est forcément intéressant. Souvent, ce n’est que décoratif, ou alors moche, ou banal. A chaque fois, je transpose mentalement l’œuvre dans une galerie. Est-ce qu’elle y aurait sa place ? Neuf fois sur dix, je réponds non. Pour les deux mignons de la rue Richard-Lallemant, je réponds oui.
*
Grâce à Vingt Minutes, on en sait un peu plus sur la pathologie dont souffre Nicolas Sarkozy, qui lui a valu sur prescription médicale d’être vacciné avec Pfizer bien qu’âgé seulement de soixante-six ans. Citation extraite de l’article Coronavirus : Pourquoi les 65-74 ans ne sont-ils toujours pas éligibles à la vaccination anti-Covid ? : « Toutefois ceux qui sont à très hauts risques dans cette tranche d’âge sont éligibles au vaccin Pfizer, mais les cas sont très restreints : cancer évolutif, hémopathies en traitement, transplantations, trisomie 21 et maladies rares, énumère le Dr Jean-Paul Ortiz, médecin généraliste et président de la Confédération des Syndicats Médicaux Français. »
Tout cela ne présage rien de bon pour Sarko.
*
Avant lui, il y eut le pipole Michel Cymes. Ses deux doses de Pfizer, c’était pour donner l’exemple. Le vingt-trois février, il a été accusé de plagiat par un de ses confrères.
«Tu n’as pas honte de recopier quasiment mot à mot et de A à Z mon billet de blog?», l’a alpagué Marc Gozlan, médecin, auteur de Réalité Biomédicales sur Le Monde, après avoir entendu la chronique du pipole Ça va beaucoup mieux sur Erre Thé Aile.
Cymes a dû présenter ses excuses. On ne peut pas donner l’exemple tous les jours.
24 février 2021
A défaut d’être au Havre ce mardi, je sors lire dans le jardin de la copropriété pour la première fois de l’année dès que le soleil donne sur le mur du bâtiment d’en face et précisément sur le banc qu’il me faut d’abord faire glisser pour lui faire retrouver sa place officielle.
C’est l’occasion de voir à quoi ressemble la haie du mur du fond après sa découpe à la tronçonneuse. Elle a triste aspect. Les fagots de branches coupées sont dispersés sur la pelouse, attendant l’occasion de disparaître. D’autres plantations ont souffert d’un raccourcissement sommaire, dont certaines sectionnées rasibus. Le jardin s’en remettra, plus ou moins, comme de tous les outrages passés.
Du vert, il y en a aussi dans la partie inférieure de la flèche de la Cathédrale. Elle a été repeinte dans sa couleur d’origine. Le pansement qui cache les travaux est un peu plus haut que l’an dernier. Cachés à l’intérieur, des ouvriers cognent sur le métal. Je les entends discuter dans une langue étrangère.
-Vous voilà de retour avec nous ; je veux dire dans la cour, me dit un voisin qui part faire ses courses.
-Oui, il fallait que le soleil soit là.
Pourquoi donc qualifier cet endroit de cour ? Beaucoup de ceux et celles qui vivent ici le font.
J’ai pour lecture Correspondance de Roger Caillois et Victoria Ocampo, ouvrage paru chez Stock en mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept. Elle et lui ont une histoire ensemble, lui étant plus jeune qu’elle. Bientôt, il en épouse une autre, de son âge. Ils restent en relation, amicale, littéraire, parfois conflictuelle, encore un peu amoureuse.
Je reste là jusqu’à ce que le soleil me lâche en retombant derrière le bâtiment. Il n’est que quatorze heures trente.
*
« Accepter », « Tout accepter », me faut-il cliquer comme tout un chacun plusieurs fois par jour pour accéder à divers sites Internet. Je me demande si ce petit geste, d’apparence anodine, n’aurait pas des effets sur le comportement général de certains.
C’est l’occasion de voir à quoi ressemble la haie du mur du fond après sa découpe à la tronçonneuse. Elle a triste aspect. Les fagots de branches coupées sont dispersés sur la pelouse, attendant l’occasion de disparaître. D’autres plantations ont souffert d’un raccourcissement sommaire, dont certaines sectionnées rasibus. Le jardin s’en remettra, plus ou moins, comme de tous les outrages passés.
Du vert, il y en a aussi dans la partie inférieure de la flèche de la Cathédrale. Elle a été repeinte dans sa couleur d’origine. Le pansement qui cache les travaux est un peu plus haut que l’an dernier. Cachés à l’intérieur, des ouvriers cognent sur le métal. Je les entends discuter dans une langue étrangère.
-Vous voilà de retour avec nous ; je veux dire dans la cour, me dit un voisin qui part faire ses courses.
-Oui, il fallait que le soleil soit là.
Pourquoi donc qualifier cet endroit de cour ? Beaucoup de ceux et celles qui vivent ici le font.
J’ai pour lecture Correspondance de Roger Caillois et Victoria Ocampo, ouvrage paru chez Stock en mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept. Elle et lui ont une histoire ensemble, lui étant plus jeune qu’elle. Bientôt, il en épouse une autre, de son âge. Ils restent en relation, amicale, littéraire, parfois conflictuelle, encore un peu amoureuse.
Je reste là jusqu’à ce que le soleil me lâche en retombant derrière le bâtiment. Il n’est que quatorze heures trente.
*
« Accepter », « Tout accepter », me faut-il cliquer comme tout un chacun plusieurs fois par jour pour accéder à divers sites Internet. Je me demande si ce petit geste, d’apparence anodine, n’aurait pas des effets sur le comportement général de certains.
23 février 2021
Un billet, acheté samedi dernier en même temps que celui pour Dieppe, doit me permettre de faire mes retrouvailles avec Le Havre ce mardi, mais quand, avant de quitter mon logement, je regarde ce qui se passe sur le tableau des départs de la Gare de Rouen, je découvre une pagaille générale, comme souvent sur la ligne Paris Rouen Le Havre.
Cette fois, c’est en raison d’un rendu tardif de travaux (comme ils disent). Mon train de huit heures cinq est annoncé avec cinquante minutes de retard ; le précédent, avec seulement vingt-cinq minutes, ce qui le ferait partir à l’heure initialement prévue pour le mien.
Je me rends donc à la Gare avec l’envie de prendre ce dernier. J’y découvre que le retard du train pour lequel j’ai un billet est passé à une heure dix, et celui du précèdent à trente-cinq minutes. De plus, ce dernier est un omnibus qui va se traîner en route. Enfin, il va s’emplir de ses passagers et de ceux du suivant, ce qui ne me permettra peut-être pas d’être sans voisin immédiat.
En conséquence, comme on dit à la Senecefe, je me rends au guichet pour me faire rembourser, ce que l’employée accepte sans sourciller. Mes sandouiches, je les mangerai à la maison.
*
Ça se complique sur le front de la Guerre du Covid. Confinement de ouiquennede pour la bordure des Alpes-Maritimes. D’autres pourraient suivre. Avant un troisième confinement général éventuel. Au moment où certains pays déconfineront. Notamment, la Grande-Bretagne qui pour le vaccin Pfizer a choisi de ne faire qu’une seule dose afin de protéger davantage de monde. En France, pays à deux doses, toujours aucune perspective vaccinale pour les soixante-cinq soixante-quinze ans. Suis pas prêt d’être piqué.
*
Sarkozy, lui, a été vacciné à soixante-six ans. Sur prescription médicale, paraît-il.
Même s’il est atteint d’une pathologie, son âge ne le rendait pas éligible à une telle vaccination. Les deux doses à lui nécessaires auront été ôtées de l’épaule d’un de ces plus de soixante-quinze ans, atteints d’une pathologie ou non, qui faute de place n’arrivent pas à prendre rendez-vous.
Cette fois, c’est en raison d’un rendu tardif de travaux (comme ils disent). Mon train de huit heures cinq est annoncé avec cinquante minutes de retard ; le précédent, avec seulement vingt-cinq minutes, ce qui le ferait partir à l’heure initialement prévue pour le mien.
Je me rends donc à la Gare avec l’envie de prendre ce dernier. J’y découvre que le retard du train pour lequel j’ai un billet est passé à une heure dix, et celui du précèdent à trente-cinq minutes. De plus, ce dernier est un omnibus qui va se traîner en route. Enfin, il va s’emplir de ses passagers et de ceux du suivant, ce qui ne me permettra peut-être pas d’être sans voisin immédiat.
En conséquence, comme on dit à la Senecefe, je me rends au guichet pour me faire rembourser, ce que l’employée accepte sans sourciller. Mes sandouiches, je les mangerai à la maison.
*
Ça se complique sur le front de la Guerre du Covid. Confinement de ouiquennede pour la bordure des Alpes-Maritimes. D’autres pourraient suivre. Avant un troisième confinement général éventuel. Au moment où certains pays déconfineront. Notamment, la Grande-Bretagne qui pour le vaccin Pfizer a choisi de ne faire qu’une seule dose afin de protéger davantage de monde. En France, pays à deux doses, toujours aucune perspective vaccinale pour les soixante-cinq soixante-quinze ans. Suis pas prêt d’être piqué.
*
Sarkozy, lui, a été vacciné à soixante-six ans. Sur prescription médicale, paraît-il.
Même s’il est atteint d’une pathologie, son âge ne le rendait pas éligible à une telle vaccination. Les deux doses à lui nécessaires auront été ôtées de l’épaule d’un de ces plus de soixante-quinze ans, atteints d’une pathologie ou non, qui faute de place n’arrivent pas à prendre rendez-vous.
22 février 2021
D’abord, un temps ensoleillé et doux est annoncé par Météo France pour ce samedi. Ensuite, la suggestion que les vieux devraient se cloîtrer refait surface. Cela ne peut que me donner envie de bouger.
Nous ne sommes pas beaucoup dans le Rouen Dieppe de neuf heures quinze car il n’est pas en correspondance avec un train parisien. Je retrouve avec plaisir la vue sur la campagne normande le long de la Scie sinueuse et, à dix heures une, je fais mes retrouvailles avec la cité portuaire.
Sachant que ce jour est celui du marché hebdomadaire et que toute la ville y court, je l’évite en passant les deux ponts qui mènent au Pollet. De là, je grimpe sur la falaise où j’ôte mon masque. J’ai vue sur la sortie du port et justement un navire industriel peint en vert le quitte cependant que le Transmanche attend de voir si certains ont envie d’aller à Newhaven. Las, sur cette hauteur, il fait frais, la faute à un vent venu des terres.
La chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours étant malheureusement fermée, je poursuis sur le sentier de Grande Randonnée. Celui-ci est en retrait car cette falaise a pour habitude de choir. En contrebas, la rocade qui permet de gagner le Transmanche achève de gâcher la vue. Sitôt empruntée la passerelle l’enjambant, à Neuville-lès-Dieppe, au lieu-dit Puys, je renonce.
Redescendu au Pollet, je m’assois sur un banc avec vue sur le port inactif et y sors mes sandouiches. Une banane fait office de dessert. Dédaignant Le Mieux Ici Qu’En Face en mode dégradé avec café à emporter dans un gobelet en carton, je bois le mien issu d’un thermos.
Vers midi et demi, je fais le tour du port de plaisance et rejoins la plage où souffle également le vent frais. Peu de monde sur les galets mais il y a foule sur la promenade. Manifestement le désir de mer est là, le manque de gaieté aussi. Je m’assois sur un banc (que faire d’autre ?) et regarde passer les familles. J’ai un livre avec moi mais il ne fait pas assez chaud pour l’exhiber.
Quand je suis lassé de voir aller et venir le populo, je marche à mon tour afin de rejoindre un coin où peu d’autres que moi auraient idée d’aller : le port industriel. J’y photographie d’imposantes grues et y croise une fille imprévue. Les ports n’étant plus ce qu’ils étaient, quand je la vois prête à ouvrir la bouche, je ne m’attends pas à une proposition tarifée. Elle me dit simplement bonjour. Au moins, aurai-je échangé un mot avec un humain.
*
Je rentre à Rouen avec le dernier train du jour, un seize heures cinq où chacun peut ne pas avoir de voisinage immédiat. A l’arrivée, je trouve moins de vent et encore plus de monde qu’à Dieppe. Le square Verdrel a des allures de cour de récréation. Les terrasses debout sont blindées, notamment l’une d’elles où a été créée avec un mobilier succinct une sorte de comptoir d’extérieur. Une jeunesse dépourvue de masque y boit et rit. Il est dix-sept heures, le couvre-feu ne va pas pouvoir être respecté par tout le monde.
*
Triste d’avoir appris la mort de Philippe Chatel, d’une crise cardiaque, une semaine avant son soixante-treizième anniversaire.
Présenté partout comme « le papa d’Emilie Jolie », il était plus que cela avec des chansons comme J’t’aime bien Lili, Mister Hyde, Tout quitter mais tout emporter, J’suis resté seul dans mon lundi ou Ma Lycéenne.
Cette dernière est un bon exemple de ce que l’autocensure empêche désormais d’écrire.
*
Au premier rang de ceux qui prônent à nouveau l’auto-isolement des personnes âgées (comme ils disent) : le vieux Delfraissy, soixante-douze ans, Président du Conseil Scientifique.
L’heure de la retraite a sonné, Delfraissy, rentre à la maison et restes-y.
Nous ne sommes pas beaucoup dans le Rouen Dieppe de neuf heures quinze car il n’est pas en correspondance avec un train parisien. Je retrouve avec plaisir la vue sur la campagne normande le long de la Scie sinueuse et, à dix heures une, je fais mes retrouvailles avec la cité portuaire.
Sachant que ce jour est celui du marché hebdomadaire et que toute la ville y court, je l’évite en passant les deux ponts qui mènent au Pollet. De là, je grimpe sur la falaise où j’ôte mon masque. J’ai vue sur la sortie du port et justement un navire industriel peint en vert le quitte cependant que le Transmanche attend de voir si certains ont envie d’aller à Newhaven. Las, sur cette hauteur, il fait frais, la faute à un vent venu des terres.
La chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours étant malheureusement fermée, je poursuis sur le sentier de Grande Randonnée. Celui-ci est en retrait car cette falaise a pour habitude de choir. En contrebas, la rocade qui permet de gagner le Transmanche achève de gâcher la vue. Sitôt empruntée la passerelle l’enjambant, à Neuville-lès-Dieppe, au lieu-dit Puys, je renonce.
Redescendu au Pollet, je m’assois sur un banc avec vue sur le port inactif et y sors mes sandouiches. Une banane fait office de dessert. Dédaignant Le Mieux Ici Qu’En Face en mode dégradé avec café à emporter dans un gobelet en carton, je bois le mien issu d’un thermos.
Vers midi et demi, je fais le tour du port de plaisance et rejoins la plage où souffle également le vent frais. Peu de monde sur les galets mais il y a foule sur la promenade. Manifestement le désir de mer est là, le manque de gaieté aussi. Je m’assois sur un banc (que faire d’autre ?) et regarde passer les familles. J’ai un livre avec moi mais il ne fait pas assez chaud pour l’exhiber.
Quand je suis lassé de voir aller et venir le populo, je marche à mon tour afin de rejoindre un coin où peu d’autres que moi auraient idée d’aller : le port industriel. J’y photographie d’imposantes grues et y croise une fille imprévue. Les ports n’étant plus ce qu’ils étaient, quand je la vois prête à ouvrir la bouche, je ne m’attends pas à une proposition tarifée. Elle me dit simplement bonjour. Au moins, aurai-je échangé un mot avec un humain.
*
Je rentre à Rouen avec le dernier train du jour, un seize heures cinq où chacun peut ne pas avoir de voisinage immédiat. A l’arrivée, je trouve moins de vent et encore plus de monde qu’à Dieppe. Le square Verdrel a des allures de cour de récréation. Les terrasses debout sont blindées, notamment l’une d’elles où a été créée avec un mobilier succinct une sorte de comptoir d’extérieur. Une jeunesse dépourvue de masque y boit et rit. Il est dix-sept heures, le couvre-feu ne va pas pouvoir être respecté par tout le monde.
*
Triste d’avoir appris la mort de Philippe Chatel, d’une crise cardiaque, une semaine avant son soixante-treizième anniversaire.
Présenté partout comme « le papa d’Emilie Jolie », il était plus que cela avec des chansons comme J’t’aime bien Lili, Mister Hyde, Tout quitter mais tout emporter, J’suis resté seul dans mon lundi ou Ma Lycéenne.
Cette dernière est un bon exemple de ce que l’autocensure empêche désormais d’écrire.
*
Au premier rang de ceux qui prônent à nouveau l’auto-isolement des personnes âgées (comme ils disent) : le vieux Delfraissy, soixante-douze ans, Président du Conseil Scientifique.
L’heure de la retraite a sonné, Delfraissy, rentre à la maison et restes-y.
21 février 2021
Ecoute est faite de l’Intégrale des Entretiens Radiophoniques de Paul Léautaud avec Robert Mallet, un coffret de dix cédés, chacun de plus d’une heure, publié par Frémeaux & Associés. Outre le plaisir d’ouïr les propos de Léautaud et la manière bien à lui de les exprimer, il y a celui d’entendre Mallet bousculer le vieil écrivain, le questionner sans déférence, le contester, le mettre face à ses contradictions, dénoncer sa mauvaise foi.
Ce dialogue, dont les dernières étapes furent diffusées en mil neuf cent cinquante et un alors que je vagissais dans mon berceau, est bien différent de ceux compassés alors en vogue à la radio, dont les questions et les réponses était préparées à l’avance et lus au micro. En résumé, malgré les contraintes engendrées par la censure, le naturel y règne.
*
Dans les propos de Léautaud, ce qui touche à la famille, au sexe, à l’homosexualité (et notamment à celle de Gide), à l’armée, à la patrie et aux comportements des gens de lettres à la Libération a été victime de la censure. Mallet et lui ont dû revenir enregistrer certains passages pour les rendre conformes à ce que la radio tolérait. Ainsi, Léautaud note le deux novembre mil neuf cent cinquante dans son Journal littéraire, à propos de la scène, racontée par lui, où son père couche avec sa mère et sa tante dans le même lit : Le directeur de la radio a jugé qu’on ne pouvait offrir un pareil sujet aux familles, les familles dans la plupart desquelles il s’en passe bien d’autres.
*
Les Entretiens avec Robert Mallet, non censurés, ont été publiés au Mercure de France en mil neuf cent cinquante et un, un ouvrage signé Paul Léautaud (Voilà que je signe un livre que je n’ai pas écrit !).
L’exemplaire que je possède a appartenu à mon frère Jacques. Ecouter les entretiens en suivant sur le papier est compliqué, non seulement à cause des différences entre ce qui est présent à l’oral et à l’écrit mais aussi à cause d’une réécriture plus conforme à la syntaxe des propos de l’écrivain.
*
Le neuf avril mil neuf cent cinquante et un, à l’Assemblée Nationale où l’on vote le budget de la Radiodiffusion Française, un Député Démocrate-Chrétien interpelle le Gouvernement : « Nous avons entendu récemment pendant des semaines un critique, dont j’ai appris le nom en l’écoutant à la radio, déblatérer, traiter de tous les noms possibles ses contemporains et prétendre ne se plaire que dans la société des animaux. Je ne crois pas indispensable que de telles réflexions soient produites à la Radiodiffusion Française. » Le Ministre Socialiste de l’Information lui répond : « Je crois, et une très nombreuse correspondance le confirme, que c’est tout à l’honneur de la radiodiffusion d’avoir donné à Monsieur Paul Léautaud un public plus large que celui du Mercure de France et qu’il n’est pas inutile que, sortant d’un conformisme quelquefois excessif, des voix comme la sienne puissent se faire entendre. »
*
En bonus aux vingt-deux entretiens de l’Intégrale des Entretiens Radiophoniques de Paul Léautaud avec Robert Mallet, la conversation volée entre Paul Léautaud et Julien Benda, enregistrée à leur insu dans les studios de la radio.
En illustration, sur le coffret de cédés, Léautaud et Mallet assis dans le jardin du premier à Fontenay-aux-Roses. Léautaud fume et Mallet a son bébé sur les genoux. Une belle provocation quand on sait à quel point l’écrivain détestait les enfants.
*
De Mallet, j’ai tenté de lire il y a longtemps dans l’édition Folio l’épais roman Ellynn. Suis pas allé bien loin. L’ennui était au rendez-vous.
Ce dialogue, dont les dernières étapes furent diffusées en mil neuf cent cinquante et un alors que je vagissais dans mon berceau, est bien différent de ceux compassés alors en vogue à la radio, dont les questions et les réponses était préparées à l’avance et lus au micro. En résumé, malgré les contraintes engendrées par la censure, le naturel y règne.
*
Dans les propos de Léautaud, ce qui touche à la famille, au sexe, à l’homosexualité (et notamment à celle de Gide), à l’armée, à la patrie et aux comportements des gens de lettres à la Libération a été victime de la censure. Mallet et lui ont dû revenir enregistrer certains passages pour les rendre conformes à ce que la radio tolérait. Ainsi, Léautaud note le deux novembre mil neuf cent cinquante dans son Journal littéraire, à propos de la scène, racontée par lui, où son père couche avec sa mère et sa tante dans le même lit : Le directeur de la radio a jugé qu’on ne pouvait offrir un pareil sujet aux familles, les familles dans la plupart desquelles il s’en passe bien d’autres.
*
Les Entretiens avec Robert Mallet, non censurés, ont été publiés au Mercure de France en mil neuf cent cinquante et un, un ouvrage signé Paul Léautaud (Voilà que je signe un livre que je n’ai pas écrit !).
L’exemplaire que je possède a appartenu à mon frère Jacques. Ecouter les entretiens en suivant sur le papier est compliqué, non seulement à cause des différences entre ce qui est présent à l’oral et à l’écrit mais aussi à cause d’une réécriture plus conforme à la syntaxe des propos de l’écrivain.
*
Le neuf avril mil neuf cent cinquante et un, à l’Assemblée Nationale où l’on vote le budget de la Radiodiffusion Française, un Député Démocrate-Chrétien interpelle le Gouvernement : « Nous avons entendu récemment pendant des semaines un critique, dont j’ai appris le nom en l’écoutant à la radio, déblatérer, traiter de tous les noms possibles ses contemporains et prétendre ne se plaire que dans la société des animaux. Je ne crois pas indispensable que de telles réflexions soient produites à la Radiodiffusion Française. » Le Ministre Socialiste de l’Information lui répond : « Je crois, et une très nombreuse correspondance le confirme, que c’est tout à l’honneur de la radiodiffusion d’avoir donné à Monsieur Paul Léautaud un public plus large que celui du Mercure de France et qu’il n’est pas inutile que, sortant d’un conformisme quelquefois excessif, des voix comme la sienne puissent se faire entendre. »
*
En bonus aux vingt-deux entretiens de l’Intégrale des Entretiens Radiophoniques de Paul Léautaud avec Robert Mallet, la conversation volée entre Paul Léautaud et Julien Benda, enregistrée à leur insu dans les studios de la radio.
En illustration, sur le coffret de cédés, Léautaud et Mallet assis dans le jardin du premier à Fontenay-aux-Roses. Léautaud fume et Mallet a son bébé sur les genoux. Une belle provocation quand on sait à quel point l’écrivain détestait les enfants.
*
De Mallet, j’ai tenté de lire il y a longtemps dans l’édition Folio l’épais roman Ellynn. Suis pas allé bien loin. L’ennui était au rendez-vous.
19 février 2021
Avant de remettre le premier volume de son Journal dans ma bibliothèque, cette nouvelle giclée de Tchoukovski :
Premier août mil neuf cent vingt-cinq : Ainsi Moukha-Tsokotoukha, mon livre le plus gai, le plus musical, le plus réussi est réduit à néant pour la seule raison que l’anniversaire dont je parle a des couleurs trop « ancien régime ». De sa voix très suave la camarade Bystrova m’a expliqué que le petit moustique n’était qu’un prince déguisé et la mouche une princesse déguisée. (…) … elle a même affirmé que les dessins étaient indécents, que le moustique se tient trop près de la mouche et qu’ils étaient en train de flirter. (…)
Ainsi, mon Crocodile est interdit, Moukha-Tsokotoukha est interdit, l’Enorme Cafard est en passe d’être interdit, mais Grigori Efimovitch aime bien le Nekrassov que je n’ai pas encore fini d’écrire.
Onze janvier mil neuf cent vingt-six : Marchak nous a raconté quelque chose d’intéressant sur son fils qui a neuf ans, je crois. Le garçonnet a dit de sa propre initiative à la dame qui venait lui enseigner la musique : « Ne revenez plus. La musique est une occupation oisive pour gens sans travail. »
Dix-sept mars mil neuf cent vingt-six : Hier j’ai fait une conférence sur Nekrassov à l’université. Les étudiants ont été choqués par mon orientation si contraire aux règles de l’Association des écrivains prolétariens, et leurs questions étaient franchement stupides.
Vingt-quatre mars mil neuf cent vingt-six : Je maudis ces salauds de petits fonctionnaires qui ont posé leur derrière sur la littérature et sont en train de l’étouffer, qui nous étouffent à chaque pas, qui usent nos nerfs et font de nous des vieillards de quarante ans.
Cinq avril mil neuf cent vingt-six : Ah, si quelqu’un pouvait me prendre par la main et m’éloigner de moi-même !
Treize avril mil neuf cent vingt-six : Sadi a donc fait un four. A la fin du spectacle : pas un seul applaudissement. Je n’en suis pas particulièrement ébranlé, mais je crains que ça ne m’éloigne du théâtre pour longtemps.
Vingt-trois août mil neuf cent vingt-sept ; Mon Dieu, je reçois de ces lettres ! Quelqu’un m’écrit par exemple de province pour me proposer ses services de collaborateur : « Moi, j’écrirai, et vous, vous vendrez, et on partagera l’argent. » Et en fin de lettre : « Avec mes saluts communistes. »
Trois novembre mil neuf cent vingt-huit : Et quand je crie ma colère et ma douleur, ils disent que je suis neurasthénique. Ils ont peut-être raison. On ne peut pas en vouloir aux gens d’être ordinaires.
*
Le second volume reste sur mon bureau. On ne perd rien pour attendre (comme on dit).
Premier août mil neuf cent vingt-cinq : Ainsi Moukha-Tsokotoukha, mon livre le plus gai, le plus musical, le plus réussi est réduit à néant pour la seule raison que l’anniversaire dont je parle a des couleurs trop « ancien régime ». De sa voix très suave la camarade Bystrova m’a expliqué que le petit moustique n’était qu’un prince déguisé et la mouche une princesse déguisée. (…) … elle a même affirmé que les dessins étaient indécents, que le moustique se tient trop près de la mouche et qu’ils étaient en train de flirter. (…)
Ainsi, mon Crocodile est interdit, Moukha-Tsokotoukha est interdit, l’Enorme Cafard est en passe d’être interdit, mais Grigori Efimovitch aime bien le Nekrassov que je n’ai pas encore fini d’écrire.
Onze janvier mil neuf cent vingt-six : Marchak nous a raconté quelque chose d’intéressant sur son fils qui a neuf ans, je crois. Le garçonnet a dit de sa propre initiative à la dame qui venait lui enseigner la musique : « Ne revenez plus. La musique est une occupation oisive pour gens sans travail. »
Dix-sept mars mil neuf cent vingt-six : Hier j’ai fait une conférence sur Nekrassov à l’université. Les étudiants ont été choqués par mon orientation si contraire aux règles de l’Association des écrivains prolétariens, et leurs questions étaient franchement stupides.
Vingt-quatre mars mil neuf cent vingt-six : Je maudis ces salauds de petits fonctionnaires qui ont posé leur derrière sur la littérature et sont en train de l’étouffer, qui nous étouffent à chaque pas, qui usent nos nerfs et font de nous des vieillards de quarante ans.
Cinq avril mil neuf cent vingt-six : Ah, si quelqu’un pouvait me prendre par la main et m’éloigner de moi-même !
Treize avril mil neuf cent vingt-six : Sadi a donc fait un four. A la fin du spectacle : pas un seul applaudissement. Je n’en suis pas particulièrement ébranlé, mais je crains que ça ne m’éloigne du théâtre pour longtemps.
Vingt-trois août mil neuf cent vingt-sept ; Mon Dieu, je reçois de ces lettres ! Quelqu’un m’écrit par exemple de province pour me proposer ses services de collaborateur : « Moi, j’écrirai, et vous, vous vendrez, et on partagera l’argent. » Et en fin de lettre : « Avec mes saluts communistes. »
Trois novembre mil neuf cent vingt-huit : Et quand je crie ma colère et ma douleur, ils disent que je suis neurasthénique. Ils ont peut-être raison. On ne peut pas en vouloir aux gens d’être ordinaires.
*
Le second volume reste sur mon bureau. On ne perd rien pour attendre (comme on dit).
18 février 2021
Parce qu’il pleut, parce qu’il ne se passe rien dans ma vie, parce que ça plaira à certains, parce que ça en soûlera au moins un, tiens, encore des extraits du premier volume du Journal de Korneï Tchoukovski publié chez Fayard :
Vingt-neuf septembre mil neuf cent vingt-deux : A l’institut Ténichev on demande aux enfants où travaillent leurs parents. La plupart répondent : Au marché Maltsevski, car c’est là que leurs parents vendent leurs affaires.
Premier janvier mil neuf cent vingt-trois : Voilà ce que c’est que d’avoir quarante ans : quand quelqu'un vient me voir, je suis pressé qu’il reparte. Je n’ai aucune curiosité pour les gens. Et pourtant avant j’étais comme un chiot : j’allais renifler chaque passant et lever la patte à chaque borne.
Huit janvier mil neuf cent vingt-trois : Dans l’un de ses articles sur le suicide, il cite la lettre qu’un ouvrier a écrite juste avant sa mort en 1884. L’ouvrier écrit : « Il est devenu difficile de vivre », etc. La censure a exigé de Koni qu’il ajoute : « Il est devenu difficile de vivre sous le régime capitaliste. Vive la commune ! »
Quatorze octobre mil neuf cent vingt-trois : Le désespoir se lit sur les visages. Un automne difficile nous attend. Pour le prolétariat intellectuel c’est la catastrophe. Des gens au visage hagard parcourent la ville à la recherche d’un travail.
Vingt-huit novembre mil neuf cent vingt-trois : Je viens de découvrir qu’on nous a volé tous les vêtements au grenier, les miens, ceux des enfants, absolument tout. Nous n’avons plus rien à mettre pour l’hiver.
Vingt-huit novembre mil neuf cent vingt-trois : Hier, en quête d’argent, je suis allé à l’Association des cinéastes du Nord-Ouest. J’ai été accueilli à bras ouverts, j’ai proposé de porter à l’écran mon Crocodile, mais ils m’ont demandé de le modifier un peu : il fallait que je transforme le petit Ivan Vassiltchikov en komsomol, et le sergent de ville en milicien. Je ne sais pas pourquoi, ça m’a mis mal à l’aise, et j’ai déclaré qu’Ivan était issu d’une maison bourgeoise. Ça a fait capoter toute l’affaire, et me voilà sans le sou.
Quatorze avril mil neuf cent vingt-quatre : Lakhta. Petite ville touristique. (…) Je suis seul ici, et je me sens bien. Il y a là un établissement dont l’inutilité est pathétique : le musée. Les jeunes gens qui séjournent ici s’en désintéressent royalement, préférant passer leurs nuits à jouer aux cartes. Les soldats, eux, le visitent mais c’est pour voler les bocaux à grenouilles et boire l’alcool qu’ils contiennent.
Seize janvier mil neuf cent vingt-cinq : L’aspect le plus étonnant de la situation actuelle est que ce ne sont pas les lecteurs qui veulent la liberté de publication, mais seulement un groupe d’écrivains auxquels personne ne s’intéresse. .
Vingt et un février mil neuf cent vingt-cinq : La pauvre Anna Ivanovna Khodassévitch a tellement souffert de la faim qu’elle se met à écrire des comptes rendus de films. Elle a vu un film américain très intéressant, mais son compte rendu dit : « Voilà bien un navet américain, dont la morale bourgeoise », etc. « Je suis obligée, dit-elle, sinon ils ne publient pas, et adieu mes trois roubles. »
Vingt-neuf mars mil neuf cent vingt-cinq : Il a illustré un abécédaire, et là-dedans la censure a interdit deux illustrations, celles de l’usine et de l’ouvrier. Pourquoi ? « Parce que l’ouvrier est assis et qu’il se repose. Et l’usine parce que ses cheminées ne fument pas ! »
Lundi treize avril mil neuf cent vingt-cinq : Dimanche j’ai eu la visite d’I. Babel. La dernière fois que je l’avais vu, c’était un étudiant aux joues rouges qui simulait très bien l’exaltation et la naïveté. Maintenant, il n’y arrive plus aussi bien, mais j’ai toujours la même confiance en lui et je l’aime toujours autant. (…)
Il se plaint de la censure qui ne veut pas de cette phrase : « Il la regardait comme regarde un professeur renommé une jeune fille en mal de conception. » (…)
Babel n’a pas plu à Lida : « Je n’aime pas les écrivains célèbres. »
Treize mai mil neuf cent vingt-cinq : Avant, à l’office des morts, l’intelligentsia ne se signait pas – c’était comme une marque de protestation. Maintenant elle se signe – et c’est encore un signe de protestation. Quand est-ce que vous vous mettrez à vivre pour vous-mêmes, et non en signe de protestation ?
Vingt-neuf septembre mil neuf cent vingt-deux : A l’institut Ténichev on demande aux enfants où travaillent leurs parents. La plupart répondent : Au marché Maltsevski, car c’est là que leurs parents vendent leurs affaires.
Premier janvier mil neuf cent vingt-trois : Voilà ce que c’est que d’avoir quarante ans : quand quelqu'un vient me voir, je suis pressé qu’il reparte. Je n’ai aucune curiosité pour les gens. Et pourtant avant j’étais comme un chiot : j’allais renifler chaque passant et lever la patte à chaque borne.
Huit janvier mil neuf cent vingt-trois : Dans l’un de ses articles sur le suicide, il cite la lettre qu’un ouvrier a écrite juste avant sa mort en 1884. L’ouvrier écrit : « Il est devenu difficile de vivre », etc. La censure a exigé de Koni qu’il ajoute : « Il est devenu difficile de vivre sous le régime capitaliste. Vive la commune ! »
Quatorze octobre mil neuf cent vingt-trois : Le désespoir se lit sur les visages. Un automne difficile nous attend. Pour le prolétariat intellectuel c’est la catastrophe. Des gens au visage hagard parcourent la ville à la recherche d’un travail.
Vingt-huit novembre mil neuf cent vingt-trois : Je viens de découvrir qu’on nous a volé tous les vêtements au grenier, les miens, ceux des enfants, absolument tout. Nous n’avons plus rien à mettre pour l’hiver.
Vingt-huit novembre mil neuf cent vingt-trois : Hier, en quête d’argent, je suis allé à l’Association des cinéastes du Nord-Ouest. J’ai été accueilli à bras ouverts, j’ai proposé de porter à l’écran mon Crocodile, mais ils m’ont demandé de le modifier un peu : il fallait que je transforme le petit Ivan Vassiltchikov en komsomol, et le sergent de ville en milicien. Je ne sais pas pourquoi, ça m’a mis mal à l’aise, et j’ai déclaré qu’Ivan était issu d’une maison bourgeoise. Ça a fait capoter toute l’affaire, et me voilà sans le sou.
Quatorze avril mil neuf cent vingt-quatre : Lakhta. Petite ville touristique. (…) Je suis seul ici, et je me sens bien. Il y a là un établissement dont l’inutilité est pathétique : le musée. Les jeunes gens qui séjournent ici s’en désintéressent royalement, préférant passer leurs nuits à jouer aux cartes. Les soldats, eux, le visitent mais c’est pour voler les bocaux à grenouilles et boire l’alcool qu’ils contiennent.
Seize janvier mil neuf cent vingt-cinq : L’aspect le plus étonnant de la situation actuelle est que ce ne sont pas les lecteurs qui veulent la liberté de publication, mais seulement un groupe d’écrivains auxquels personne ne s’intéresse. .
Vingt et un février mil neuf cent vingt-cinq : La pauvre Anna Ivanovna Khodassévitch a tellement souffert de la faim qu’elle se met à écrire des comptes rendus de films. Elle a vu un film américain très intéressant, mais son compte rendu dit : « Voilà bien un navet américain, dont la morale bourgeoise », etc. « Je suis obligée, dit-elle, sinon ils ne publient pas, et adieu mes trois roubles. »
Vingt-neuf mars mil neuf cent vingt-cinq : Il a illustré un abécédaire, et là-dedans la censure a interdit deux illustrations, celles de l’usine et de l’ouvrier. Pourquoi ? « Parce que l’ouvrier est assis et qu’il se repose. Et l’usine parce que ses cheminées ne fument pas ! »
Lundi treize avril mil neuf cent vingt-cinq : Dimanche j’ai eu la visite d’I. Babel. La dernière fois que je l’avais vu, c’était un étudiant aux joues rouges qui simulait très bien l’exaltation et la naïveté. Maintenant, il n’y arrive plus aussi bien, mais j’ai toujours la même confiance en lui et je l’aime toujours autant. (…)
Il se plaint de la censure qui ne veut pas de cette phrase : « Il la regardait comme regarde un professeur renommé une jeune fille en mal de conception. » (…)
Babel n’a pas plu à Lida : « Je n’aime pas les écrivains célèbres. »
Treize mai mil neuf cent vingt-cinq : Avant, à l’office des morts, l’intelligentsia ne se signait pas – c’était comme une marque de protestation. Maintenant elle se signe – et c’est encore un signe de protestation. Quand est-ce que vous vous mettrez à vivre pour vous-mêmes, et non en signe de protestation ?
17 février 2021
Ce Mardi Gras où tout le monde est masqué (quelle farce !) me voit atteindre l’âge déplorable de soixante-dix ans. D’un côté, je pourrais m’en réjouir, certains n’ont pas cette opportunité. D’un autre, cela indique à quel point je suis défraîchi et en chemin vers la fin.
70 ans ! Nous nous suivons de peu, mon cher Valéry – (j’entends comme âge). C’est le 18 janvier prochain que, moi, je bouclerai ce chiffre qui ne me réjouit guère. Quand on regarde la vie derrière soi et qu’on pense à l’incertaine durée qui vous reste ? – Je n’aime pas la mort. Je ne m’y résigne pas. J’entre en rage quand j’y pense. écrivait Paul Léautaud à Paul Valéry le mardi quatre novembre mil neuf cent quarante et un.
Quand le téléphone sonne, vers huit heures et demie, je devine que c’est ma sœur. Elle n’en manque pas un.
-Bon anniversaire mon grand frère, me dit-elle.
-Tu devrais plutôt dire mon vieux frère.
Elle proteste, s’emploie à me convaincre que soixante-dix ans, c’est mieux que d’en avoir quatre-vingts. Notre conversation dure un certain temps. Elle m’apprend la mort récente d’une connaissance commune puis évoque les problèmes de santé des uns et des autres dans son entourage, tous ayant à peu près notre âge. Surtout, que je n’oublie pas de boire assez d’eau, une infection urinaire chez un homme âgé, ça peut être grave.
-Tu es parfaite pour me faire oublier ce qui me tourmente, la félicité-je.
La surprise est pour midi et demi. Lorsque j’ouvre ma boîte à lettres, un gros carton en occupe tout l’espace. L’expéditrice travaille à Paris près de la Bastille.
Ce carton en contient un plus petit emballé dans un papier blanc et empli de bonbons, chocolats et café. Des douceurs qui mettent un peu de gaîté à ce jour compliqué.
La dernière fois que je l’ai vue, c’était pour fêter en retard mon anniversaire précédent, juste avant le premier confinement. Nous nous promettons de fêter comme il se doit celui des septante ans. Quand ce sera possible.
*
Septuagénaire : un mot qui fâcheusement commence comme sépulture.
70 ans ! Nous nous suivons de peu, mon cher Valéry – (j’entends comme âge). C’est le 18 janvier prochain que, moi, je bouclerai ce chiffre qui ne me réjouit guère. Quand on regarde la vie derrière soi et qu’on pense à l’incertaine durée qui vous reste ? – Je n’aime pas la mort. Je ne m’y résigne pas. J’entre en rage quand j’y pense. écrivait Paul Léautaud à Paul Valéry le mardi quatre novembre mil neuf cent quarante et un.
Quand le téléphone sonne, vers huit heures et demie, je devine que c’est ma sœur. Elle n’en manque pas un.
-Bon anniversaire mon grand frère, me dit-elle.
-Tu devrais plutôt dire mon vieux frère.
Elle proteste, s’emploie à me convaincre que soixante-dix ans, c’est mieux que d’en avoir quatre-vingts. Notre conversation dure un certain temps. Elle m’apprend la mort récente d’une connaissance commune puis évoque les problèmes de santé des uns et des autres dans son entourage, tous ayant à peu près notre âge. Surtout, que je n’oublie pas de boire assez d’eau, une infection urinaire chez un homme âgé, ça peut être grave.
-Tu es parfaite pour me faire oublier ce qui me tourmente, la félicité-je.
La surprise est pour midi et demi. Lorsque j’ouvre ma boîte à lettres, un gros carton en occupe tout l’espace. L’expéditrice travaille à Paris près de la Bastille.
Ce carton en contient un plus petit emballé dans un papier blanc et empli de bonbons, chocolats et café. Des douceurs qui mettent un peu de gaîté à ce jour compliqué.
La dernière fois que je l’ai vue, c’était pour fêter en retard mon anniversaire précédent, juste avant le premier confinement. Nous nous promettons de fêter comme il se doit celui des septante ans. Quand ce sera possible.
*
Septuagénaire : un mot qui fâcheusement commence comme sépulture.
© 2014 Michel Perdrial - Design: Bureau l’Imprimante