Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

10 mai 2017


« J'espère que tu n'as pas été « miné » par l'inquiétude », m’écrit, de retour à Paris, celle qui a fêté son anniversaire à Rotterdam et dont je n’ai pas eu de nouvelles pendant son escapade.
« Je t’écrirai à mon arrivée », m’avait-elle dit en me remettant la clé de son appartement. Elle ne l’a pas pu, faute d’Internet, et n’a pas eu l’idée de me téléphoner.
De quoi me faire bien flipper pendant ces quelques jours car elle faisait le voyage comme passagère d’une moto. J’imaginais le pire, me voyais téléphoner à l’Ambassade des Pays-Bas et à la Police si je n’avais pas de message ce mardi matin.
Ouf.
                                                            *
L’accident, c’est qui est arrivé au jeune homme de vingt-neuf ans porté disparu à Rouen, un ami de certaines de mes connaissances. Son corps a été retrouvé lundi après-midi dans la Seine. Reste à savoir comment c’est arrivé.
 

9 mai 2017


C’est sans grand espoir que je me rends ce lundi matin huit mai au vide grenier rouennais du quartier Saint-Eloi qui doit son nom au temple voisin, lequel déballage en est à son deuxième jour. M’attendant à y trouver peu d’installé(e)s, je suis démenti. Et contrairement aux précédents ayant eu lieu dans le centre de la ville, ici la marchandise proposée est présentable et les vendeuses et vendeurs sont du coin et pas obsédés par la nécessité de gagner de l’argent. Des livres sont visibles mais ne m’intéressent pas. Cependant, je finis par céder à l’achat, certains m’ayant été proposés à cinquante centimes par un aimable vendeur.
Une femme est plus contente que moi :
-Je me suis acheté des trucs que je vais pas dire à mon mari. Des livres de cuisine pour moi, simples.
                                                               *
Pendant mon séjour parisien, lecture de Voyage de jeunesse (Lettres européennes) de Félix Mendelssohn (Stock/Musique).
Qu’il est ennuyeux, ce jeune Mendelssohn :
… dans un autre opéra, une jeune fille se déshabille en chantant une chanson dans laquelle elle dit que le lendemain, à la même heure, elle sera mariée, tout cela fait de l’effet, mais je n’ai pas de musique pour de pareilles choses, car cela est vulgaire, et si notre époque veut absolument des effets de ce genre, eh bien, j’écrirai de la musique religieuse. (À son père, le dix-neuf novembre mil huit cent trente et un)
                                                               *
Quand même, plus de dix millions de voix pour la fille Le Pen, deux fois plus que le père Le Pen en deux mille deux. Avec des villages où elle fait quatre-vingt-dix pour cent. Si elle avait été élue, qu’est-ce qui aurait changé dans la vie de ces ruraux ? Rien, toujours les mêmes journées, aller faire pisser le chien, regarder des conneries à la télé, s’engueuler avec sa moitié, prendre ses médicaments pour dormir, picoler Chez Janine avec ses semblables, accueilli par un « Quoi de neuf ? » auquel on répond « Que du vieux. ».
                                                              *
Il y a aussi les électeurs F-Haine de la ville. Ils ne s’emmerdent pas moins dans leur logement ou au bistrot du coin, mais ceux-là veulent en découdre. L’un d’eux, entendu sur France Culture avant le vote du deuxième tour et prévoyant la défaite : « Le combat continuera dans la rue, mais pas avec l’étiquette Front National, ce sera avec l’étiquette syndicale ».
Une raison supplémentaire de ne pas me mêler aux manifestations plus ou moins violentes qui ne manqueront d’avoir lieu dans les prochaines semaines ou les prochains mois.
 

8 mai 2017


Il pleut comme en novembre ce dimanche matin à Paris. Vers dix heures, je me décide à affronter cette flotte pour voir ce qu’il en est du vide grenier situé tout près, rue Ordener.
C’est un triste spectacle, marchandise de pauvres sur trottoir mouillé. Les plus organisés ont établi un plastique de récupération au-dessus de ce qu’ils vendent et d’eux-mêmes. C’est le cas du seul à proposer des livres, notamment sous forme d’épreuves envoyées aux journalistes avant parution (Où a-t-il eu ça ? Mystère).
Celui qui, faute de mieux, m’intéresse est un vrai livre : L’affaire Richard Millet (Critique de la bien-pensance) de Muriel de Rengervé (Editions Léo Scheer). Elle y raconte comment Richard Millet a dû démissionner du comité éditorial de Gallimard suite à la parution de son Eloge littéraire d’Anders Breivik aux Editions Pierre-Guillaume de Roux, cette éviction étant à l’initiative de Le Clézio, Bernard-Henri Lévy et Annie Ernaux, écrivains censurant un autre écrivain. L’exemplaire bénéficie d’un envoi de son auteure : « Pour vous, cher Ariel Wizman, en hommage à votre liberté ! ». Contre un euro, je le mets dans mon sac.
Après un dernier passage au Dionis, je fais un mauvais choix en déjeunant au Village, rue Duhesme, d’un filet de daurade sauce basilic à douze euros. L’endroit est quasiment désert. Je m’y emmerde autant que dans un vrai village. « On fait aller », répond la vieille venue boire un petit verre au comptoir, quand le patron lui demande comment ça va.
-D’habitude, le dimanche je sors pas, mais là comme j’avais un géranium à prendre au marché…
Elle ne dit pas si elle a voté.
Il est temps pour moi de rentrer à Rouen pour le faire.
Je boucle mon bagage, ferme l’appartement dont je garde la clé, puis me dirige vers Saint-Lazare. Arrivé là, je bois un dernier café à la Ville d’Argentan où un curé en soutane prend un apéro d’après la messe.
Le train du retour se traîne, dévié par Herblay et Conflans-Sainte-Honorine sans que le chef de bord juge bon d’en informer les voyageurs, pas d’excuse pour l’arrivée en retard d’un quart d’heure.
Peu avant dix-sept heures, je suis au lycée Camille Saint-Saëns. Je glisse dans l’urne le bulletin Macron prélevé dans ma boite à lettres (pas question de toucher à celui de la Gueularde).
C’est vite fait et cela me coûte moins que voter Chirac en deux mille deux.
                                                                        *
Il y a cinq ans, je croisais François Hollande à la gare Saint-Lazare. Quelque temps après, il était élu Président de la République
Il y a quelques mois, je croisais Emmanuel Macron au même endroit. On voit ce qu’il est advenu.
Suffira-t-il que j’aie croisé François Baroin à la sortie du Savoy à la Monnaie de Paris pour qu’il devienne Premier Ministre de cohabitation ?
                                                                       *
Présidentielles encore :
Avoir trente ans le jour même de l’élection d’Emmanuel Macron, c’est le cas de celle partie les fêter à l’étranger.
Avoir eu trente ans trois mois avant la première élection de François Mitterrand, ce fut mon cas.
                                                                       *
Un bon anniversaires, cela se souhaite aussi via le réseau social Effe Bé, même à qui l’on ne connaît pas de visu mais est néanmoins votre « ami(e) ». Ainsi ai-je récemment envoyé mes vœux pour le sien à une Parisienne.
« Merci Michel, bonne soirée. Au plaisir de vous rencontrer un jour ! », m’a-t-elle répondu.
« Ce serait avec plaisir, je vais être à Paris du trois au sept mai. », lui ai-je indiqué.
Une absence de réaction a fait suite à cette information.
 

7 mai 2017


Samedi, jour de vide greniers et de pluie annoncée, je ne m’attarde pas dans l’appartement où m’héberge celle qui m’inquiète un peu en ne me donnant pas de ses nouvelles.
D’un coup de métro avec changement à Pigalle je me rends à la station Jaurès et cherche où sur les quais de Seine est le vide grenier annoncé. Je l’aperçois et dois pour le rejoindre traverser un endroit où l’on trafique la drogue. Les exposants sont moins nombreux qu’annoncés et la moitié sont des professionnels. Je crains de repartir bredouille mais non. Un jeune homme propose des ouvrages de la Réunion des Musées Nationaux, les catalogues des expositions Maillol peintre, Toulouse-Lautrec & l’affiche, Robert Rauschenberg et Matisse et Picasso, tous quatre sous blister. C’est un peu louche. Trente-deux euros, est-il écrit en quatrième de couverture de chaque. Il essaie de savoir quel prix je pourrais mettre pour l’ensemble. Juste avant que je tente quinze euros le tout, il me les propose pour douze. L’occasion fait le larron (comme on dit). Mon sac à dos s’alourdit sévèrement. Quand je repasse par le coin des drogués et des dileurs, la Police est occupée à en coincer deux.
De Jaurès, je vais à Ménilmontant. Le déballage est sur le boulevard. Pour l’essentiel, ce sont des particuliers, en majorité pauvres. J’y côtoie des acheteurs de livres par code barre, scannant pour savoir si ça vaut le coup à la revente. A voir ce qu’ils achètent, la déconvenue doit être courante. Pour ma part, un seul livre me retient, bien lourd lui aussi, James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots, un « essai hilare » de Victor-Lévy Beaulieu (Editions Trois-Pistoles), mille quatre-vingt-dix pages de littérature un peu barrée.
-Je vous le laisse à deux euros vu son état, me dit la vendeuse.
Il semble avoir pris l’eau lors d’un précédent vide grenier. Pour éviter que ça se reproduise, je l’achète, Là-haut, les nuages sont de plus en plus noirs. Je reprends le métro avec changement à Pigalle et suis à peine de retour que la pluie commence. Il est neuf heures dix.
Je ressors à midi moins dix et vais voir, pas loin, si on sert à manger le samedi au Bon Coin, ce restaurant que m’a fait découvrir l’un avec qui j’ignore si je redéjeunerai un jour.
-Oui, me dit-on derrière le comptoir.
Je m’installe à la table pour personne seule qui jouxte l’entrée/sortie de la cuisine et commande un kir que je bois en considérant les habitués du matin qui vont bientôt laisser place aux mangeurs. L’un d’eux, retraité aux cheveux blancs en catogan, inscrit dans une agence de figurants, explique à ses amis du même âge qu’il va jouer dans une pub, quatre cents euros pour deux jours. Il l’a déjà fait une fois pour une compagnie d’assurance, un tournage d’une journée : « Je devais juste dire MMA et hop, deux cents balles. »
Une souriante serveuse que l’on pourrait qualifier de ronde s’approche de moi :
-Je vais devoir déplacer un peu votre table, j’ai besoin de plus de place pour passer que mes copines, me dit-elle.
Celle, filiforme, qui s’occupe du bar mange un pain au chocolat.
C’est bientôt l’affluence. Le Bon Coin se transforme en ruche. Qui est seul ou à deux à une table de quatre se voit imposer un voisinage intime comme dans certains restaurants routiers. J’ai horreur de ça et suis content de ne rien risquer. J’ai choisi la moussaka puis la tarte pomme rhubarbe, avec un verre de chinon. Tout cela est bien bon et suivi d’un café à un euro.
Au moment où je veux payer, la fille du pain au chocolat descend à la cave par un étroit escalier caché derrière la porte d’un placard afin de se ravitailler en porto. J’en ai pour vingt euros soixante, m’apprend-elle, remontée avec sa bouteille.
                                                                 *
Le Dionis a son défaut que je découvre ce samedi à dix-sept heures quand on y remplace Fip par la télé pour un match de foute. Avant de fuir, j’y côtoyais deux professionnels de la musique classique qui parlaient de la Seine Musicale, de Laurence Equilbey et de sa direction d’orchestre. L’un : « C’est mauvais, c’est mauvais, mais on n’ose rien dire parce que c’est une femme. »
                                                                 *
Gravir les trois étages, celui vite parcouru, celui qui tue, celui du but. L’immeuble d’en face, érigé dans la dent creuse, est terminé, six étages. On y emménage. Ce matin, livraison de literie. Le ciel est toujours visible (aujourd’hui gris de pluie) grâce aux bâtiments de droite qui n’ont que trois étages.
 

6 avril 2017


Pas une entrée de métro parisien sans un(e) jeune trentenaire distribuant un tract qui appelle à voter Macron, ce vendredi matin, comme les jours d’avant, et pour la dernière fois.
Je prends la ligne Douze puis la Huit jusqu’à la sortie Ecole Vétérinaire de Maisons-Alfort. L’homme à qui je demande de quel côté la Marne m’informe qu’il n’y a qu’à traverser la rue et longer l’église. Effectivement, elle est là.
Un chemin piétonnier en suit le cours. C’est la promenade Paul-Cézanne. Je le suis. Certains passages ont été construits au-dessus de l’eau. Il ne s’agirait pas de faire un pas de côté et devenir le disparu de la Marne. Je côtoie des coureuses, des promeneurs de chiens, un pêcheur et un employé communal qui efface un graffiti anti Macron. Je fais un détour par l’île de Charentonneau accessible par une passerelle. Des panneaux informatifs montrent la foule d’autrefois, se baignant et prenant le soleil, aussi nombreuse qu’aujourd’hui sur les plages de la Côte d’Azur. De l’autre côté de la rivière bourdonne la circulation incessante de l’autoroute A Quatre. Quand elle l’enjambe, je fais demi-tour et vais voir à quoi ressemble l’Ecole Vétérinaire.
Un homme en garde la porte. Il me fait entrer sans visiter mon sac. L’endroit est vaste, composé de nombreux bâtiments dont un Institut du Porc et le Musée Fragonard. Ce dernier n’ouvre qu’avec parcimonie (fermé le vendredi). Un professeur donne cours à ses élèves devant des bottes de paille. Deux étudiants rentrent deux chevaux à l’écurie. L’établissement a sa propre société hippique et les camions nécessaires au transport de ces animaux.
Le métro Huit me conduit au marché d’Aligre. Aucun livre ne m’y attendait.
                                                              *
Aux stations de métro et de bus, Heineken fait sa pub anti Le Pen : « Le brassage est une richesse ».
                                                              *
Dionis est décidément mon café parisien préféré, où l’on entend Fip, où l’on peut lire Libération, dommage que je n’aie ordinairement rien à faire dans le dix-huitième arrondissement.
                                                              *
Un jeune homme a disparu à Rouen dans la nuit de samedi à dimanche entre le Trois Pièces et Saint-Sever. La même nuit, quelqu’un est tombé dans la Seine pendant les Vingt-Quatre Heures Motonautiques et n’a pas été repêché. Des avis de recherche continuent à être diffusés par l’entourage qui se refuse à faire le rapprochement entre le second évènement et le premier.
 

5 mai 2017


Suite à « un malaise voyageur à Jasmin », c’est le bazar sur la ligne Neuf ce jeudi matin, je dois laisser passer quatre rames avant de pouvoir faire la sardine dans la cinquième en direction de Billancourt, l’occasion de vérifier que les êtres humains à Paris savent rester civils. Je finis néanmoins le voyage assis.
A la sortie, une aimable autochtone m’indique comment trouver l’île Seguin où j’ai envie de voir la Seine Musicale, cette nouvelle salle destinée à accueillir des manifestations artistiques, politiques, festives et commerciales, construite là où se tenait l’usine Renault. Pour ce faire, je frôle un nouveau quartier d’immeubles à architecture intéressante, dont je fais des photos, parmi lesquels celui du siège du seul quotidien que je n’ai jamais lu et ne lirai jamais : L’Equipe.
J’emprunte la passerelle qui permet d’aller dans l’île. Nous sommes ici hors de la capitale, dans « Les Hauts de Seine, la vallée de la culture ». Las, quand je veux photographier la Seine Musicale, mon appareil m’apprend qu’il a la batterie à plat.
Elle est en deux blocs, l’un en béton, d’aspect traditionnel, sur la façade duquel se succèdent d’immenses publicités lumineuses pour la Fnaque ou Bouygues, l’autre dans le goût du jour, tout en courbes avec de l’eau autour. Les travaux ne sont pas terminés, bien que l’inauguration ait eu lieu.
Je profite d’un portillon resté ouvert pour, après avoir monté un long escalier, me glisser dans le jardin Bellini. J’en fais le tour, pelouse et jeunes arbres avec nichoirs pour les oiseaux, avec la crainte d’être enfermé mais j’y échappe. Redescendu, je remarque la petite flèche qui indique Insula Orchestra. Laurence Equilbey, toujours sur les bons coups, a niché ici, en résidence, son orchestre.
Une deuxième passerelle permet d’aller explorer l’autre rive de la Seine. Deux jeunes coureuses me conseillent de prendre le chemin piétonnier vers la droite. Ainsi fais-je, longeant des péniches d’habitation qui ont vue imprenable sur la Seine Musicale. Un peu plus loin, je passe devant le Collège Arménien Samuel Moorat. Me voici à Sèvres, sa maison de Brimborion qui fut à la Marquise de Pompadour, son Pavillon de Breteuil et le mètre étalon, son Musée de la Céramique, tous lieux qui ne m’attirent pas.
Je continue donc et arrive au Domaine National de Saint-Cloud, un endroit qu’autrefois Catherine de Médicis offrit à Jérôme de Gondi, son écuyer. J’entre. Cet immense parc à allées cavalières est cerné par Sèvres, Ville-d’Avray, Marnes-la-Coquette et Garches. Sur le plan, je vois qu’il est traversé par l’autoroute qui mène à Rouen. J’espère que c’est en souterrain. Quoiqu’il en soit, je n’en vois qu’une petite partie. Après être passé devant La France couronnant l’Industrie, sculpture kitchissime d’Elias Robert, je ressors par une petite porte pour rejoindre le pont de Saint-Cloud afin de quitter cette impression de campagne grâce au métro Dix.
A midi pile, je déjeune au Royal Bourse Opéra d’une excellente et copieuse joue de bœuf trônant sur une montagne de purée à l’ancienne. Je la fais suivre d’un tiramisu artisanal. Avec un quart de côtes-du-rhône, cela fait dix-neuf euros.
Chez Book-Off, pas très loin, je ne trouve rien.
                                                           *
Pas la moindre envie d’aller au concert anti F-Haine, place de la République. L’impression que cela mouline à vide.
 

4 mai 2017


Il pleut lorsque j’arrive à Paris ce mercredi matin avec ma valise à roulettes. Je la tire jusqu’à la place des Augustins où la Jeanne fait la fière sur son cheval devant une palissade couverte de slogans anti F-Haine. C’est tout près de là que j’ai rendez-vous avec celle qui court toujours et partout. Elle arrive à la bourre et me confie la clé de son appartement. Je retourne à la gare Saint-Lazare pour prendre le métro Douze, en descends à Jules Joffrin et continue à pied jusqu’à mon logement provisoire.
Délesté, je rejoins le Book-Off de Saint-Antoine. On y entend un cédé de Cali qui lors de son dernier passage à Rouen est reparti avec un livre de ma bibliothèque. Je n’achète que deux petits livres afin de laisser de la place à ceux que je trouverai peut-être en fin de semaine dans les vide greniers. C’est au Péhemmu chinois d’à côté que je déjeune du confit de canard qui fait mon bonheur. N’y mangent que des solitaires, dont un que je croise dans tous les lieux où l’on vend des livres d’occasion. Petit sexagénaire barbu, de profil il ressemble à Popeye et mange ses tagliatelles d’une manière qui n’incite pas à faire sa connaissance.
Bien qu’il pleuvouille toujours, je rejoins Beaubourg à pied. Du sixième étage du Centre Pompidou, je fais une photo de Paris gris puis j’entre dans la vaste exposition des photos de Walker Evans. Leur taille varie du timbre-poste de collection à la feuille de papier A Cinq. Il faudrait se coller dessus pour les bien regarder, ce qui me soûle. En dix minutes j’ai parcouru le labyrinthe. Redescendu, je visite l’exposition consacrée au disagneur Ross Lovegrove, de bien beaux objets, dont la Twin’Z, un prototype de voiture électrique Renault.
Ayant rejoint le dix-huitième arrondissement, j’y lis un moment au café Dionis, rue Letort, un endroit sympathique dont la clientèle, mélangée et décontractée, est constituée d’habitué(e)s du quartier. Le café en salle est à un euro cinquante. Je n’en connais pas d’autre à ce prix à Paris.
                                                             *
Une gardienne du Centre Pompidou à l’un de ses collègues à propos d’un autre :
-Je crois qu’il me fait la gueule.
-Ah bon, pourquoi ?
-Parce que je lui ai dit ce que je pensais de lui : qu’il était chiant.
                                                             *
L’un des deux livres de Book-Off : Wasabi de l’Argentin Alan Pauls (Titres/Christian Bourgois), acheté parce que l’action au début se passe à Saint-Nazaire où j’ai prévu d’être à partir du quinze mai.
                                                             *
L’ami Georges qui reçoit dans son Hôtel de l’Europe moult artistes de passage à Rouen a pour habitude de leur demander avant leur venue ce qu’ils aimeraient trouver dans leur chambre. Cali lui ayant répondu : « Un livre de poésie », il appela à l’aide.
Je fus le premier à répondre et lui portais deux heures plus tard Le Guetteur mélancolique suivi de poèmes retrouvés de Guillaume Apollinaire (Poésie/Gallimard).
-Je te le rendrai après, me dit-il en m’offrant un café.
-Si Cali a envie de l’emporter, je le lui offre, lui répondis-je.
Ainsi fut-il.
 

3 mai 2017


Encore une nuit du deux au trois mai, la vingt-deuxième depuis celle pendant laquelle mon frère Jacques est mort à La Rochelle.
L’an dernier, Christian Degoutte, qui chronique les parutions pour la revue Verso dans sa rubrique En salade dont l’épigraphe est due à Claude Seyve : « Voyons voir ce que dit cet imbécile de Degoutte », m’a invité à lui envoyer les plaquettes de poésie de ce frère disparu (comme on dit improprement)
Il en a rendu compte dans le numéro cent soixante-cinq :
« Il y a une lucarne qui donne sur la situation / elle est belle / la lucarne / pas la situation / non la situation n’est pas belle, si ce n’est le cadavre à cadre à bras / le cadavre à pneus / hormis ça, parlons des Murissades / le crocodile va peut-être être tué / tout dépend du directeur… » : Jacques Perdrial, in TOUS LES CHATS QUI SONT BLANCS…à l’enseigne de L’ECCHYMOSE. Michel Perdrial m’a envoyé quatre plaquettes de son frère décédé ; plaquettes publiées par L’ECCHYMOSE ou PLAISIR DES ARAIGNEES entre 1977 et 1986. Chaque plaquette se donne pour un joyeux fatras de poèmes absurdes, d’aphorismes fantaisistes, de bouts de refrains idiots, de jeux d’à-peu-près, de collages surréalistes, d’échappées mélancoliques ou lyriques. Sous les multiples influences de Prévert, Queneau, Desnos et surtout Vian. Une poésie bien représentative d’une part de ce qui se publiait dans ces années-là. Ce qui ressort de ces plaquettes, c’est un sentiment de liberté et un refus affiché du sérieux, du pesant. Des trucs étonnants dans nos temps de rétrécissement «des libertés» où tout est grave : « l’aube se change en pâte dentaire / le gel opère / un arbre acerbe / cris de douleur / la pluie rince / un bistouri / hilare /tandis que passent Robert Desnos / et sa chaussette bègue ». Déjà des curiosités littéraires que Michel Perdrial envoie gratos si on lui écrit poliment.
Suivait mon adresse mail. Ni Christian ni moi-même n’avons été surpris de constater qu’aucune demande ne m’a été faite.
                                                               *
Cette année, la mauvaise nuit est heureusement suivie d’une escapade de quelques jours à Paris. Je passerai mes nuits, à son invitation, dans l’appartement de celle qui ira fêter son anniversaire à l’étranger.
 

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