Chaque mercredi, je pioche un mail dans ma boîte. Spams, newsletters, courrier perso: tout y passe. Aujourd'hui, je réponds au mail de Smith, qui vit à Bath.
Chère Éléonore,
Je m'appelle Smith. Je vis à Bath, en Angleterre. Ici nous avons un temps de chien, gris et pluvieux. J'aime Hitchcock, le criquet, je joue aux petits chevaux. Je suis roux et j'ai des taches de rousseur, les dents en avant. Enfant, je portais un uniforme au collège où mes parents nous avaient inscrits, ma soeur Emily et moi. Près de l'école il y avait un petit ruisseau qui coulait. Moi, étant plutôt du type solitaire, j'aimais à y passer mes récréations et mon lunch break (près du petit ruisseau). J'y ai même fumé quelques cigarettes en cachette, je ne te le cache pas. Je ne buvais pas d'alcool. Pas à cette époque, en tout cas. Les jours s'écoulaient, paisibles comme le petit ruisseau. Je m'ennuyais un peu, mais je préférais ce type d'ennui, solitaire et contemplatif, à toute autre forme d'ennui. Pas de jeux vidéos pour moi, ni de cruauté envers les animaux. Un jour, justement, un merle s'est posé près de moi, sur la branche du frêne qui poussait au bord de l'eau. Et ce merle, à ma plus grande surprise, m'a parlé en ces termes: "Smith, du must ein Freund zu finden" (le merle parlait allemand), c'est-à-dire qu'il me conseillait de trouver un ami. "Tu as passé bien trop de temps à zoner tout seul près ce ruisseau ou dans les couloirs ternes du collège. Il te reste à bâtir des relations sociales, désormais. Tu n'as que treize ans, mais bientôt, le 18 mars 2012, en fait, tu devras avoir accompli la troisième étape d'une série qui débute aujourd'hui. La première, celle dont je te parle, si tu me suivais, au lieu de jouer avec ton mégot de clope, c'est de te trouver un bon pote. La seconde, que tu devras avoir dépassée avant tes dix-huit ans, c'est de te trouver un métier. Un job tranquille, avec des week ends de trois jours tant qu'à faire. Et la troizième, enfin, eh bien, mon vieux Smith, tu verras bien le jour J. Ciao !"
Sur ces derniers mots, le merle s'est envolé, d'une manière un peu balourde, je dois dire. Je me sentais... je ne sais pas comment dire... comme dans Twin Peaks quand le corbeau fixe cette fille de ses yeux jaunes. J'étais super mal à l'aise. Mais je me suis mis en quête d'un ami, puis d'un boulot, et aujourd'hui, Éléonore, eh bien... Nous sommes le 21 mars 2012. Et je n'ai pas reçu de signe dimanche dernier, pourtant mon merle avait bien dit le 18. Mais rien. Qu'est-ce-que je dois faire ? Toi qui as déjà regardé tous les épisodes de Twin Peaks à la télé, en VHS, puis en DVD blu-ray, peux-tu m'aider ? Quel peut bien être ce signe que je devais recevoir dimanche dix-huit ?
Bien à toi,
Smith, de Bath
Hi Smith,
Ça a été un drôle de boulot de traduire ton mail, je peux te dire. J'y suis depuis ce matin. Moi qui avais plein de ménage à faire, et du tri dans mes papiers de l'INSEE, je sais que j'ai perdu ma matinée. Enfin, perdu, non, excuse-moi, je ne voulais pas dire que gérer ton message constituait une grosse perte de temps. Justement, laisse-moi t'exposer mon point de vue sur ton aventure, puisque tu me le demandes:
Tout d'abord, Smith, je dois te rappeler (à toi et à tous nos lecteurs américains qui en douteraient) que les oiseaux ne parlent pas. À part les mainates, et les perroquets. Certains aras aussi, mais ils font partie de la famille des perroquets de toute façon. En tout cas, pas les merles, certainement pas. Donc, attention, révise ton atlas d'ornithologie. C'était mon premier point.
Ensuite, je suis surprise que, plutôt que de consulter un excellent site de numérologie suisse, tu préfères écouter des merles te prédire l'avenir. Je sais, tu n'avais que treize ans, mais tout de même, ce n'est pas raisonnable. Il n'y avait pas Internet, dans ton collège, ou quoi ? Si je me montre un peu sévère, c'est que ça n'a pas de sens. Je pensais que les Anglais étaient plus avancés que nous, en France, sur ces choses-là.
Ensuite, mon dernier point (tu remarques que je suis comme le merle, là-dessus, je ne transige pas: trois points sinon rien). Mon dernier point, donc: qu'est-ce-qu'elle est devenue, ta soeur, Emily ? Excuse-moi de te demander, mais tu n'as pas dit.
Allez, bisous,
Éléonore
Je m'appelle Smith. Je vis à Bath, en Angleterre. Ici nous avons un temps de chien, gris et pluvieux. J'aime Hitchcock, le criquet, je joue aux petits chevaux. Je suis roux et j'ai des taches de rousseur, les dents en avant. Enfant, je portais un uniforme au collège où mes parents nous avaient inscrits, ma soeur Emily et moi. Près de l'école il y avait un petit ruisseau qui coulait. Moi, étant plutôt du type solitaire, j'aimais à y passer mes récréations et mon lunch break (près du petit ruisseau). J'y ai même fumé quelques cigarettes en cachette, je ne te le cache pas. Je ne buvais pas d'alcool. Pas à cette époque, en tout cas. Les jours s'écoulaient, paisibles comme le petit ruisseau. Je m'ennuyais un peu, mais je préférais ce type d'ennui, solitaire et contemplatif, à toute autre forme d'ennui. Pas de jeux vidéos pour moi, ni de cruauté envers les animaux. Un jour, justement, un merle s'est posé près de moi, sur la branche du frêne qui poussait au bord de l'eau. Et ce merle, à ma plus grande surprise, m'a parlé en ces termes: "Smith, du must ein Freund zu finden" (le merle parlait allemand), c'est-à-dire qu'il me conseillait de trouver un ami. "Tu as passé bien trop de temps à zoner tout seul près ce ruisseau ou dans les couloirs ternes du collège. Il te reste à bâtir des relations sociales, désormais. Tu n'as que treize ans, mais bientôt, le 18 mars 2012, en fait, tu devras avoir accompli la troisième étape d'une série qui débute aujourd'hui. La première, celle dont je te parle, si tu me suivais, au lieu de jouer avec ton mégot de clope, c'est de te trouver un bon pote. La seconde, que tu devras avoir dépassée avant tes dix-huit ans, c'est de te trouver un métier. Un job tranquille, avec des week ends de trois jours tant qu'à faire. Et la troizième, enfin, eh bien, mon vieux Smith, tu verras bien le jour J. Ciao !"
Sur ces derniers mots, le merle s'est envolé, d'une manière un peu balourde, je dois dire. Je me sentais... je ne sais pas comment dire... comme dans Twin Peaks quand le corbeau fixe cette fille de ses yeux jaunes. J'étais super mal à l'aise. Mais je me suis mis en quête d'un ami, puis d'un boulot, et aujourd'hui, Éléonore, eh bien... Nous sommes le 21 mars 2012. Et je n'ai pas reçu de signe dimanche dernier, pourtant mon merle avait bien dit le 18. Mais rien. Qu'est-ce-que je dois faire ? Toi qui as déjà regardé tous les épisodes de Twin Peaks à la télé, en VHS, puis en DVD blu-ray, peux-tu m'aider ? Quel peut bien être ce signe que je devais recevoir dimanche dix-huit ?
Bien à toi,
Smith, de Bath
Hi Smith,
Ça a été un drôle de boulot de traduire ton mail, je peux te dire. J'y suis depuis ce matin. Moi qui avais plein de ménage à faire, et du tri dans mes papiers de l'INSEE, je sais que j'ai perdu ma matinée. Enfin, perdu, non, excuse-moi, je ne voulais pas dire que gérer ton message constituait une grosse perte de temps. Justement, laisse-moi t'exposer mon point de vue sur ton aventure, puisque tu me le demandes:
Tout d'abord, Smith, je dois te rappeler (à toi et à tous nos lecteurs américains qui en douteraient) que les oiseaux ne parlent pas. À part les mainates, et les perroquets. Certains aras aussi, mais ils font partie de la famille des perroquets de toute façon. En tout cas, pas les merles, certainement pas. Donc, attention, révise ton atlas d'ornithologie. C'était mon premier point.
Ensuite, je suis surprise que, plutôt que de consulter un excellent site de numérologie suisse, tu préfères écouter des merles te prédire l'avenir. Je sais, tu n'avais que treize ans, mais tout de même, ce n'est pas raisonnable. Il n'y avait pas Internet, dans ton collège, ou quoi ? Si je me montre un peu sévère, c'est que ça n'a pas de sens. Je pensais que les Anglais étaient plus avancés que nous, en France, sur ces choses-là.
Ensuite, mon dernier point (tu remarques que je suis comme le merle, là-dessus, je ne transige pas: trois points sinon rien). Mon dernier point, donc: qu'est-ce-qu'elle est devenue, ta soeur, Emily ? Excuse-moi de te demander, mais tu n'as pas dit.
Allez, bisous,
Éléonore
Contributeurs
Eleonore Forêt
Charber (de son vrai nom Charlotte Béranger), née en 1975 à Ploudalmézeau, est prof de yoga et de méditation à Ibiza. Charber habite une yourte, elle a débuté un commerce en ligne de vêtements en macramé de chanvre après avoir arrêté le speed et la coke ("trop de bad vibes"). Elle fume toujours pas mal de beuh et prend des shrooms mais "c'est naturel". Yes I!
Pierre Hexum a 19 ans. Il est professeur de gym à Sacramento. Il collabore avec Eléonore au blog L'Imprimante, dans la rubrique Le Mail du Mercredi, depuis les années 80.
Eléonore Forêt, bientôt 37 ans, toujours tête de linotte, ne tire aucune leçon des enseignements de la vie. Dessine, dort, nage, mange à Brest depuis mai 2013.
Pierre Hexum a 19 ans. Il est professeur de gym à Sacramento. Il collabore avec Eléonore au blog L'Imprimante, dans la rubrique Le Mail du Mercredi, depuis les années 80.
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